Fortuna Imperatrix Mundi

Caules s'autorise à respirer et à pousser un soupir discret. Finalement, ils ne leur voulaient aucun mal. Ils se contentaient de contenir des troubles. Tout va bien ! L'étudiant s'engouffre donc dans le petit passage, remerciant au passage le gros barbu, et se retourne pour attendre ses compagnons.

"Contenir des troubles... J'espère que Jolinar va bien..." se dit-il.

Un instant, l'idée de demander au garde lui traverse l'esprit mais il se reprend :

"Non, si je le fais, ça serait suspect. Contentons-nous d'afficher un grand sourire et tout ira bien !"

Et c'est ce qu'il fait.

Le grand roux examine Caules avec l'air d'évaluer son gabarit. Apparemment, le résultat ne le satisfait pas:

- Eh, Jarlath, je peux les accompagner au moins jusqu'à la placette? Sinon, les demoiselles risquent de se faire embêter.

- Comme tu veux. De toute façon, on va bientôt cadenasser la barrière et rentrer dans le corps de garde. La prochaine relève ne va pas tarder.

- S'ils sont à l'heure, pour une fois!

Le grand roux prend une lanterne à un crochet et l'allume. La nuit est maintenant presque tombée.

- Allons-y. Suivez-moi et marchez bien sur les planches. Ah, je m'appelle Quintean.

Elhine laisse passer Uriel et Aslinn avant de passer à son tour la "porte" et ferme la marche de la petite procession, se tenant un peu plus aux aguets suite aux remarques du garde. Eh bien, où est-ce que l'université nous envoie.

- C'est bien gentil à vous de nous accompagner avec votre lanterne. Est-ce si dangereux que cela ce quartier ?

Uriell met sa main sur l'épaule de Caules :

- Caules est avec nous. Il est vigilant et lucide.

Le garde n'a pas l'air vraiment convaincu :

- Hrmm... Caules, c'est le jeune homme ? Dans un endroit comme ça, il vaut mieux avoir une bonne masse d'armes. Gadwal, je connais, j'y suis né. Et j'ai dû bosser pas mal pour en sortir. Si vous avez affaire à Nold, c'est un dogue, il n'est pas commode, mais il défend bien ses baraques.

Caules devrait se sentir vexé. Après tout, on vient de le traiter indirectement de mauviette et de faible. Mais pragmatique, il se contente de ressentir une légère gêne face à la réalité de la chose. Il pose une main amicale sur celle d'Uriell :

-C'est gentil, mais pour le coup, je pense que Sir Quintean a raison. De la vigilance ne nous servirait qu'à repérer un danger quelques secondes plus tôt. Tout ce que ça nous apporterait, c'est un peu plus de temps pour hurler de peur. Honnêtement, je préfère avoir un bourrin pour nous accompagner.

L'étudiant prend un air légèrement surpris avant de se tourner vers leur protecteur, un sourire gêné aux lèvres :

-Sans vouloir vous offenser, évidemment.

Était-ce vraiment un lapsus ou le garçon s'est-il vengé - de façon mesquine, de surcroit ? Difficile à dire, il se contente ensuite de sourire bêtement.

Quintean ne répond pas. Il marche prudemment avec sa lanterne en éclairant le chemin du mieux possible. Uriell fait d'étranges enjambées sur ses talons hauts et son ombre projetée sur les murs, quand l'un ou l'autre pense à se retourner, fait plus que jamais penser à un échassier. Le froid, l'humidité et l'obscurité font passer un frisson dans l'échine des jeunes gens, surtout quand un clapotis indique que quelque chose - un gravat, des ordures jetées par une fenêtre, un rat ? - vient de tomber dans l'eau.

Quintean marche en tête à côté d'Aslinn. Il parle en baissant la voix, comme si les murs vermoulus pouvaient l'entendre :

- Le jeune homme, il a l'air honnête, c'est déjà ça. Votre amie aurait pu tomber plus mal. Quand je pense à la jeune fille de ce matin, ça me fait encore de la peine... Bon, nous sommes arrivés.

En effet, le groupe arrive à une petite place faiblement éclairée. Caules reconnaît l'endroit : c'est bien l'immeuble où habite Jolinar.

La marche était difficile, le froid et la tension se ressentait. Aslinn marchait aux côté de Quintean profitant de sa lumière. Si -au début- elle se retournait régulièrement pour être sûre que ses amis suivaient, la vision particulière d'Uriell l'avaient enjointe à arrêter.

- Le jeune homme, il a l'air honnête, c'est déjà ça. Votre amie aurait pu tomber plus mal. Quand je pense à la jeune fille de ce matin, ça me fait encore de la peine... Bon, nous sommes arrivés.

Oui, Caules est quelqu'un de bien. Mais qu'est-il arrivé ce matin ... si ce n'est pas trop indiscret, bien sur.

Elle était sincèrement curieuse. Et commençait à apprécier le "garde" qui semblait aussi loquace qu'elle.

- Oh, elle circulait en compagnie d'un type plutôt louche... En fait, je ne sais pas trop comment ça s'est terminé. J'en saurai peut-être plus demain. Si vous passez par là en allant à l'Université, je serai peut-être encore de garde, ou sinon, c'est la boutique du Moretum, juste après le pont. Faites-vous accompagner, quand même, on ne sait jamais.

Ils arrivent devant un renfoncement où se trouve la porte.

- Bon, il y a encore de la lumière. Désolé, il faut que je vous laisse.

Elhine, arrivée devant "chez Nold" commence à comprendre de quoi il retourne. Effectivement, il ne soit pas être sûr de trainer dans les rues le soir, même pour un homme.

- Merci beaucoup de nous avoir mené jusqu'ici, il nous aurait été difficile de nous y retrouver avec la nuit tombante. C'était très aimable. Rentrez bien.

Sourie aimablement, fais une petite révérence et pousse la porte de "chez Nold", laissant échapper un rai de lumière dans la ruelle sombre derrière eux.

L'inépuisable optimisme d'Elhine se heurte à une cruelle réalité : la porte est verrouillée.



Le garde s'éloigne avec sa lanterne. De minces rais de lumière passent par les fenêtres de la place et, au rez-de-chaussée, par les interstices des volets. Tandis que s'annonce le chapitre suivant : 13.4. Chez Nold