- J'étais exigeante, pas dure. Je n'aurais jamais pu frapper ou humilier un enfant. Pas impassible, non... Je riais, je chantais, je piquais des colères qui se terminaient en fous rires... j'avais toutes sortes de jeux et de contes... Mais j'étais inflexible, j'exigeais toujours plus. Et elle, c'est terrible, elle échouait en tout... Personne ne voulait d'elle dans son équipe... J'ai vainement cherché n'importe quelle activité où elle pourrait se distinguer, impossible... Pas seulement en sport, n'importe quoi, dessin, devinettes... Les autres élèves se moquaient d'elle, j'essayais de la protéger, mais c'était pire. Ils l'appelaient "Mauviette, crevette, chialeuse, chouchou de la damathair!". C'est vraiment la seule de mes élèves avec qui j'aie connu cet échec. J'ai écrit deux fois à sa mère, je ne sais même pas si elle a reçu mes lettres... Et puis elle-même me suppliait: "Non, Becuma, ne me renvoie pas, si les autres y arrivent, je peux y arriver".
"Et puis, il y a eu un léger mieux... Elle ne finissait plus toutes les marches sur le dos de Prêle... Au début de l'automne, un petit conflit a éclaté entre les élèves citadins et ceux du village, les citadins disaient "On n'est pas là pour récolter les navets". C'était cyclique, mais plus envenimé que d'habitude, cela accaparait toute mon attention. Et elle, elle était à bout, elle ne dormait plus.. Et je ne voyais rien... Elle était devenue invisible pour tout le monde.
"Un jour de Damhan, en automne, à la saison des brouillards, nous avons organisé une marche dans la forêt...
Je n'avais quasiment plus pensé à tout cela depuis des mois, peut-être depuis que j'ai franchi la frontière de Reizh. J'essaie de rassembler mes souvenirs. C'était une si belle journée de fin d'automne que nous n'avons pas vu venir le brouillard... Ce brouillard, comme cette nuit où nous avons senti l'approche du feond... Les sabots de Prêle qui claquaient derrière nous...
- Qui va si tard dans la nuit et le vent?
C'est le père à cheval avec son enfant...