[OdE - Chap. 1] La Forêt engloutie

[Iris]

Soit la menace avait disparu, soit elle était plus prudente, en tous cas les voyageurs ne remarquèrent plus rien d'anormal sur le trajet menant à Swelbecky.

Des souvenirs de Roparz revenaient en mémoire à Blodwen. Un gaillard qu'on aurait peine à trouver sympathique et beaucoup auraient pensé que la corde aurait soulagé le monde d'une brute.

[Casaïr]

Décidé à changer les idées de son amie, Aeldred se mit à chantonner l'un des rares airs qui lui venait en tête et que jouait souvent le barde du village, un des airs qu'aimait beaucoup Rhea d'ailleurs en y repensant, et qu'il avait appris par cœur des années plus tôt afin de lui chanter pour son anniversaire. Le souvenir le fit sourire et le motiva d'avantage à pousser la chansonnette.

C'était plus pour Blodwen que pour lui-même qu'il chantait, il n'était d'ailleurs pas très doué dans cet exercice mais qu'importe. Il se sentait horriblement tendu par ce qu'il pouvait advenir à Swelbevky, jetant des coups d’œil inquisiteurs aux alentours, et chanter lui permettait d'évacuer une partie de son stress.

[Arthus]

Sans dire un mot, Blodwen posa une main réconfortante sur l'épaule d'Aeldred. Elle lui fit un sourire confiant avant de murmurer :

"Ne t'inquiète pas, je suis certaine que ça va bien se passer. Je connais un peu Roparz, et je pense que certaines expériences déplaisantes de son passé ont pu lui apporter un peu de sagesse. En tout cas, il a su se montrer très raisonnable la dernière fois que je l'ai vu..."

De toute façon, ils seraient bientôt fixés : les toits de la rosace étaient en vue...

[Iris]

Swelbecky peine à être qualifié de village. Les rares habitations se situent de part et d’autre des trois ébauches de chemins : vers à Terfynisel, au sud-est ; vers Tùrsal, au nord-ouest ; vers les fermes isolées des hauteurs. De là, un sentier permet de rejoindre Louarn. Une petite rivière cascade le long de la colline et alimente la roue à aube d’un moulin utilisé par l’ensemble de la population. À l’exception de la rosace et de la maison fortifiée des dàmàthairs, toutes les constructions sont de qualité assez médiocre, d’un style rustique voire archaïque par endroit.

La communauté est dirigée par un ansailéir, dont le rôle se limite généralement à assurer un accès équitable au moulin ou aux pâturages communaux. En matière de sécurité, il se repose entièrement sur les maîtres de la rosace. Dougal, l’actuel ansailéir a la trentaine. C’est un solide gaillard marié et père de famille, qui tient la fonction de ses parents. Il a tendance à chercher toutes les réponses dans la tradition, faisant de lui quelqu’un d’indécis et ponctuellement colérique.

La rosace se situe de l’autre côté d’un pont en bois qui surplombe la petite rivière. La tour a une base carrée et se dresse au-dessus d’un fort dénivelé de sorte qu’elle domine les marais tout en bas, souvent plongés dans la brume. Une grange et une écurie sont édifiées à côté. Des habitants de Swelbecky y travaillent au service des Ronces. La rosace a l’habitude de donner l’hospitalité en offrant au moins du pain et de la soupe à qui réclamerait un abri. Pour les rares voyageurs, il s’agit là des endroits ressemblant le plus à un relai où passer la nuit. Un escalier raide, en bois et terre tassée, permet de descendre le long de la colline jusqu’au marais.

La maison des dàmàthairs est le second point fortifié du village. Elle se situe plus en hauteur. Le choix de cette localisation est un compromis visant à assurer une bonne défense, et à se rapprocher des fermes les plus éloignées. La tour carrée est entourée de bâtiments et jardins qui font de ces lieux les plus agréables des environs.

Vous avez dû recevoir un plan général des lieux.

Tout est très calme, comme d'habitude. La fin d'après-midi annonce le retour des enfants de la maison des dàmàthairs, les poules rentrées, les familles se réunissant.

Quelques personnes sortent, intriguées en voyant les cinq hilderins guidés par des habitants de Terfynisel. Cela a peut-être un lien avec cette histoire de restauration de la Citadelle de Dèas ? Difficile d'imaginer autre chose en lien avec des hilderins ici.

[Arthus]

Blodwen jeta un rapide regard sur le village qui, à vrai dire, différait fort peu de Terfinysel à ses yeux, si ce n'est que la rosace faisait en quelque sorte office de donjon seigneurial.

Elle n'eut pas besoin de se retourner pour imaginer la déception, voire la résignation qui s'était abattue sur les épaules des Hilderins. Nul doute que ces fiers chevaliers ne seraient pas ravis de s'occuper d'un tel endroit, malgré le potentiel de développement qu'il recelait. Elle se demanda d'ailleurs distraitement pourquoi les Ronces n'avaient pas exploité ce potentiel au cours des années d'occupation de la Rosace, et pourquoi ils n'en avaient pas fait leur centre de commandement au vu de sa meilleure situation par rapport à Terfinysel. Sans doute était-ce dû à la présence du château seigneurial dans ce dernier village...

La jeune femme écarta rapidement cette pensée, et ses vieux réflexes de varigale reprirent le dessus : la première chose à faire était d'annoncer l'arrivée de cette délégation officielle aux personnes concernées : les Ronces et l'Ansailéir. Blodwen se tourna donc vers sire Uilleam et lui dit :

"Nous voici arrivés à Swelbecky, messire. Si vous le souhaitez, Aeldred et moi pouvons annoncer votre arrivée et le motif de votre présence à la garnison de l'Ordre des Ronces ainsi qu'à l'ansailéir Dougal, à moins que vous ne souhaitiez que nous les convoquions à l'endroit de votre choix pour que vous ayiez le loisir de le faire vous-même?"

[Casaïr]

Swelbecky.

Aeldred n'était pas sûr d'être à sa place ici. Même s'il l'avait accepté, c'était d'ici que venait le fiancé de Rhea, et il se rendit compte que tourner la page était peut-être un peu moins facile que prévu. Il tenta de chasser ses pensées, se demandant comment les habitants allaient accueillir les chevaliers hilderins. Du reste, même s'il avait confiance en Blodwen, il doutait toujours de Roparz.

Les paroles de son amie le tirèrent de sa rêverie et il se tourna également vers les hilderins afin de connaitre la décision de leur chef. Il dut retenir un sourire en voyant les airs dépités des autres chevaliers. Bienvenue chez les pécores, pensa le jeune chasseur.

[Iris]

Nul doute que les Hilderins découvraient avec dépit le lieu de leur affectation. Même Uilleam, qui s'efforçait de faire preuve d'optimisme, avait du mal à paraître confiant et satisfait de son sort. Ils avaient envie de repartir plus vite encore qu'ils n'étaient venus, et même la satisfaction d'embêter des Ronces s'effaçait devant la perspective de passer un hiver d'un ennui mortel dans ce trou boueux peuplé de consanguins. Le ciel se couvrait, il n'allait pas, en prime, tarder à pleuvoir.

Blodwen sortit Uilleam de ses sombres pensées : "Nous allons nous rendre sans tarder à la rosace."

Dans le fond, on entendit les plaisantins murmurer : "De toute façon, y'a pas d'autre endroit à nommer dans ce trou..."

" Prévenez l'ansailéir, ce sera parfait." reprit Uilleam, sans conviction.

Le groupe reprit son avancée en direction du seul point qui leur paraissait à peu près civilisé ici : la Rosace. Au moins c'était une tour fortifiée, ça ressemblait à quelque chose... et ça n'avait pas l'air d'être sur le point de s'effondrer... La construction valait n'importe quelle angarde : solide, pas très grande, de petites fenêtres qui laissaient anticiper un intérieur très sombre.

Un garçon était assis entre le moulin et le petit pont. Âgé d'une petite quinzaine d'année, maigrichon, et d'un visage assez disgracieux, il grattait un énorme chat, presque obèse, avec un poil tel qu'on aurait dit une fourrure de chèvre des montagne, mais dans les tons roux. Aucun doute pour identifier qui était le maître et qui était l'animal de compagnie... Le félin ronronnait avec un délice presque obscène et daignait (par décence ?) s'arrêter à la venue des étrangers.




Blodwen apprit à la maison de l'ansailéir que Dougal était monté à la maison des dàmàthair pour chercher ses enfants.

Quant au garçon (dont ni Blodwen ni Aeldred ne se rappelaient le nom s'ils l'avaient jamais connu), il répondit aux questions sur les Ronces : "'Sont pas là. ' Sont descendus au marais. 'm'occupe des ch'vaux et du ménage."

[Arthus]

Blodwen sourit légèrement, amusée par ce duo quelque peu incogru. Elle fut également tentée de gratouiller la tête du chat par réflexe, mais se retint juste à temps, autant pour épargner sa main de l'éventuel caractère difficile du félin que pour éviter de s'immiscer dans le lien qui unissait l'animal à l'adolescent.

Lorsque ce dernier fit mention de son occupation, Blodwen ne manqua pas de noter qu'elle n'avait pas encore vu d'écuries. Peut-être s'agissait-il du bâtiment qu'elle croyait deviner derrière l'austère Rosace, aucquel cas le garçon serait en réalité un membre de l'ordre des Ronces?

"Merci beaucoup pour l'information!

Au fait, comment vous appelez-vous, ton compagnon et toi? Moi, je m'appelle Blodwen, et voici Aeldred. Nous venons de Terfynisel, et nous souhaiterions parler à l'officier en charge de la rosace, pour leur présenter les chevaliers qui nous accompagnent. Ils expliqueront eux-mêmes le motif de leur visite.

Sais-tu pourquoi les chevaliers sont dans les marais, et s'ils seront bientôt de retour?"

Puis, se tournant autant vers Uilleam que vers Aeldred, elle ajouta :

"L'ansailéir Dougal ne devrait pas tarder, nous pouvons aussi bien l'attendre ici. Quant aux Ronces, il vaut peut-être mieux ne pas les déranger s'ils sont en mission dans les marais : on ne sait jamais que ce soit dangereux et qu'ils aient besoin de discrétion. S'ils n'en ont plus pour longtemps, nous pouvons les attendre ici également, et en profiter pour mettre déjà un peu les villageois au courant des motifs de notre venue ici...?"

[Iris]

Le regard du chat (qui était vraiment énorme, on s'en rendait compte quand il se redressait) n'incitait pas à la familiarité. Le félin avait "son" humain, et nul doute que leur relation était un peu particulière...

" Moi est Aeldred, et lui, c'est Roux."

Oui, Aeldred. Comme Aeldred le chasseur de Terfynisel. Un homonyme, comme on en trouve tant dans les villages... La raison principale de l'usage intensif des surnoms dans ces territoire...

" Cendres et Roparz sont descendus pour voir ce qui était arrivé à Elwin."

"Elwin", sans doute le prénom le plus répandu dans tout Taol-Kaer.

" On a juste retrouvé sa barque retournée. Y'en a qui pensent qu'y a pu être bouloté par un ... enfin, s'savez..."

Apparemment il y avait un tabou local sur le mot "feond".

" Mais s's'trouve, l'est juste tombé et s'est noyé."

Tout le monde n'a pas appris à nager, surtout quand les seules eaux où l'on pourrait s'ébattre sont vertes et troubles.

" J'pense qu'y s'ront là bientôt."

Enfin, il ne disait pas ça avait beaucoup de conviction. Sans doute qu'il n'en avait pas la moindre idée, mais comme ça n'était qu'une vérification de routine, ça ne paraissait pas devoir durer beaucoup. Après un moment, l'Illumination : "J'dois mettr' vos ch'vaux à l'curie p'tet ?"

Uilleam écouta Blodwen et nota la proposition du jeune-Aeldred-au-chat-roux : "Mettons les chevaux à l'écurie. Nous parlerons à l'ansailéir en attendant le retour de mission des Ronces."

Les deux plaisantins échangèrent une blague quant à la nature de ladite mission et un hilderin qui avait entendu répondit, avec une mine sombre : "Tu crois que ça nous seras épargné peut-être ?"

[Arthus]

Blodwen remercia le garçon pour les informations, en s'adressant aussi bien à lui qu'au chat qui avait manifestement autorisé sa créature à s'exprimer. Il y avait quelque chose d'assez troublant dans la relation qui unissait Roux à "son" humain, qui oscillait entre le comique et le malsain.

Une fois Aeldred-au-chat (que, sur une inspiration subite, Blodwen décida de surnommer "Calvin" afin d'éviter toute confusion avec son ami, ce dont elle lui fit part ainsi qu'au chevalier Uilleam) parti avec les chevaux aux écuries (qu'elle prit soin de repérer), Blodwen se tourna une fois de plus vers Aeldred et Uilleam.

"Messire, si vous le souhaitez, et si Aeldred est d'accord, nous pourrions aller chercher Dame Cendres et Roparz dans les marais, pendant que vous commencerez à exposer la situation à Dougal? Nous avons tous deux l'habitude de la nature, et serons probablement plus discrets qu'une compagnie entière de chevaliers lourdement armés. De plus, d'après ce que Calvin nous a dit de leur mission, je pense que nous pourrions nous rendre utiles en mettant les dons de pistage d'Aeldred au service des deux Ronces, ce qui ne pourra qu'accélérer leur retour ici. Bien sûr, nous les informerions de votre présence, et de votre souhait de vous entretenir avec eux au plus vite ici même..."