TdF - Chap. 6.3 - Aleth et Darren

[Casaïr]

Tendant une main galante à Aleth pour l’aider à avancer sans se faire bousculer, Darren entraina sa cousine hors des lieux après avoir salué tout un chacun d’un franc sourire. Tout en marchant, il observait sa cousine, cherchant un moyen d’ouvrir la discussion. Non pas que d’habitude cela le met-tait en difficulté, mais ses autres… relations avec la gente féminine n’étaient pas faites pour durer. Songeant à ce qu’elle lui avait dit tout à l’heure, il tenta une approche.

« Ainsi donc, t… vous avez vécu un temps à Villevieille ? Pour quelle raison aviez-vous été envoyé si loin ? Qu’y avez-vous appris et combien de temps y êtes-vous restée ? »

[Iris]

Aleth prit le bras de Darren en souriant et n'était pas mécontente de pouvoir se promener et visiter les lieux. Elle s'intéressait facilement à ce qui était présenté et reviendrait flâner ici avec plaisir.

"J'étais à Villevieille jusqu'à il y a environ... deux mois je dirais... peut-être trois en fait... Comme le temps passe... Enfin, voilà, je suis revenue il y a peu !"

" Mestre Corwyn pourra vous le dire, j'étais toujours fourrée dans les livres sitôt que j'ai su lire. Cette disposition m'a valu la possibilité de passer un an au Grand Septuaire de Villevieille. J'ai pris grand plaisir à ce séjour, même si ce fut pour moi un changement radical d'environnement. L'ambiance feutrée des grands couloirs de pierre, des escaliers plongés dans la pénombre et des rayons chargés de lourds ouvrages... c'était quelque chose que j'appréciais beaucoup. Je pense que j'aurais pu devenir Mestre sans état d'âme si j'avais été un homme ! "

" Mes disciplines favorites étaient l'histoire et l'art, tout particulièrement l'architecture. "

Un moment elle resta à rêvasser de constructions élégantes, à la fois fonctionnelle et dégageant une ambiance chaleureuse

" J'aurais aimé restaurer notre vieille tour en ruine à Waterford, enfin, y contribuer j'entends. Je voulais aussi que l'on réparât le toit du septuaire et que l'on ouvrît une école."

Une ombre passa sur son visage. Elle chassa ses idées noires avec un sourire un peu forcé et changea de sujet :

" J'ai eu la chance que la Mère Septa Sretena m'autorise à étudier la médecine dans l'hospice."

De toute évidence elle était très heureuse de cette opportunité et reconnaissante à la personne qui l'avait rendue possible. La Mère Sretena était l'une des grandes figures du culte des Sept, l'une des Sainteté.

" J'ai pu ainsi compléter mes connaissances en botanique par des aspects plus pratique, en herboristerie et diagnostic, ainsi que plus concrètement en soin des blessures."

Après une pause :

"Voilà, vous savez à peu près tout. "

[Casaïr]

Darren guida Aleth dans le marché à proximité des tentes, prétextant un léger détour pour regarder les étals tout en évitant les badauds et en l’écoutant. Quelque part, il avait eu l’étrange impression qu’elle en avait gros sur le cœur et cela le peinait. Mais à présent, elle se comportait comme n'importe quelle jeune fille de son âge et il en fut rassurée, elle n'avait pas totalement oublié d'être jeune. Ils prenaient ainsi le temps de regarder les étoffes proposées par divers marchands, purent sentir les effluves entêtantes de parfum que ne reconnaissait pas le chevalier, voir des fruits à l'apparence exquise dont les propriétés énergisantes ou... aphrodisiaques étaient sans doute largement surestimées. Le chevalier refusait avec un rire un peu gêné ces propositions devant sa cousine mais notait mentalement les emplacements des chalands pour plus tard, "au cas où".

Après ce temps de promenade et estimant qu'il pouvait maintenant aborder le sujet, Darren enchaina sur la question qui lui trottait en tête depuis que Gyles avait évoqué le sujet : « Ton...VOTRE ménestrel m’a appris que vous souhaitiez apprendre le maniement de l’épée. je dois bien admettre que cela m’a tout d'abord étonné, mais il est resté évasif sur vos motivations et je dois reconnaitre que cela a piqué ma curiosité. Et à voir votre… discussion avec votre maître d’armes, ce même si je n’ai entendu que les quelques derniers mots, j’ai l’impression qu’il n’est guère d’accord sur le principe, me trompé-je ? »

[Iris]

Aleth ne s'attendait pas à ce changement de sujet et considéra son cousin avec un peu d'étonnement avant de répondre :

" En fait, au moins la dague pour commencer. Je doute de pouvoir me promener avec une lame longue... ce n'est pas bien assorti avec les robes je crois." fit-elle avec un sourire espiègle

Mais elle reprit rapidement une mine plus embêtée : "Béric... "

Soupirant : "Je ne sais que penser : il se mure dans le silence, il passe des heures sans desserrer la mâchoire. Parfois je me dis qu'il s'en veut et croit ne pas avoir été à la hauteur... m'enseigner l'escrime étant de ce point de vue un aveu d'échec de la sécurité qu'il est censé assurer... ou peut-être que c'est lié à Dugal... qui est mort à mon âge... Béric et lui se connaissaient et avaient suffisamment sympathisé pour vouloir ramener sa dépouille à Waterford... L'ombre de Dugal est toujours présente... "

Et d'un geste signifiant qu'elle n'en savait pas plus sur Béric : "Ou bien c'est tout simplement qu'il préfère la compagnie des hommes et que se coltiner une fille comme élève est une corvée dont il se passerait volontiers."

" Mais je m'égare peut-être, que vouliez-vous savoir au juste ? Pourquoi je voulais apprendre l'escrime ?... Simplement pour pouvoir me défendre, sans être réduite systématiquement à un rôle de victime qui doit espérer de prompts secours pour ne pas être enlevée, violée ou tuée. Mes motivations sont très prosaïques."

[Casaïr]

Darren avait écouté patiemment Aleth, notant l'impuissance de la jeune fille à se faire comprendre de Béric. Il posa une main rassurante sur son épaule avant de reprendre la parole :

"Je comprends un peu mieux son attitude, ainsi que la vôtre, lorsque vous êtes ensemble. Je ne suis pas dans sa tête mais je suis persuadé qu'il prend sa charge très à cœur, peut-être même trop. La mort de Dugal doit certainement le hanter, et s'il est homme d'honneur, le hantera probablement à tout jamais. Et cela doit se traduire chez lui, j'imagine, par une volonté de vous protéger sans doute étouffante, tout en l'empêchant de lier des relations plus amicales que celle qu'il entretient avec vous actuellement. A moins que je ne me trompe totalement", fit-il en riant.

"Vous avez donc un amour immodéré pour les livres et une passion pour les belles bâtisses si j'ai bien appris ma leçon, et vous vous êtes mise en tête d'apprendre à vous battre. C'est un peu... contradictoire, dit-il, nonchalant, toutefois je ne suis pas là pour vous juger, mais vous aider ! Enfin, si vous le souhaitez, bien entendu. Je ne pourrai certainement pas remplacer votre mestre pour la lecture, j'avoue que je n'ai que peu de passion pour celle-ci. Toutefois, pour le maniement des armes, je peux vous apporter mon expérience, enfin, si cela vous intéresse bien sûr. Au moins, vous auriez un instructeur un peu plus joyeux !"

Il termina sa phrase par un clin d’œil entendu.

"En vérité, quand j'ai su que vous étiez ici, je ne savais pas vraiment quelle genre de jeune femme je retrouverai après toutes ces années. Pour tout vous dire, j'ai imaginé le pire comme le meilleur mais finalement, je m'aperçois que vous dépassez -en bien- tout ce que j'aurai pu me laisser croire. Vos parents doivent être très fiers de vous. Moi en tout cas, je le serai."

[Iris]

Si Aleth avait été un chat, elle se serait blottie contre Darren en ronronnant de contentement d'être si agréablement caressée dans le sens du poil et grattouillée derrière les oreilles. Pour un peu elle en rosirait de plaisir :

" En fait ce qui est surtout contradictoire, c'est mon intérêt pour la médecine et mon désir d'aller écharper mon prochain !" fit-elle en riant, un peu gênée de tant de gentillesses.

" Je serais ravie d'avoir un instructeur plus joyeux, mais vous êtes l'héritier des Risley, vous êtes amené à retourner sur les terres de Risbourg." raisonna-t-elle avec un gentil sourire et une expression d'enfant sérieux, de ceux qui savent qu'ils n'ont pas le droit de manger dans le pot de confiture et qui y renonce avec dignité, quelle qu'en soit par ailleurs l'envie. "Ou bien comptez-vous m'inviter à repasser un an sur vos terres ?" le taquina-t-elle "Ce sera certainement plus amusant quand vous y êtes !"

[Casaïr]

Nous y voila... songea-t-il, lançant un petit regard en coin pour s'assurer que toute cette bonne humeur ne s'évaporerait pas comme l'eau d'une bouilloire.

"En réalité, il est fort probable que je vienne effectivement avec vous. Je vous dois la vérité à ce sujet : je savais pertinemment que vous seriez à Rubriant, bien avant de rencontrer Gyles -bien que son aide impromptue me fut plus que bénéfique pour vous retrouver. J'ai reçu il y a peu une lettre de votre mère. Elle pensait, à juste titre, que je viendrai ici pour faire valoir mon titre de chevalier et y indiquait que vous y seriez également. Elle me proposait de fait de me joindre à vous pour le retour afin de m'en aller visiter les terres des Castellane. J'espère que vous ne prendrez pas ombrage de ma petite cachotterie, je voulais tout d'abord m'assurer de votre personnalité avant de me rendre chez vous, et c'est vous, plus que le souhait de ma tante, qui m'a décidé à accepter. D'autant que, pour être tout à fait honnête, j'ai retourné ce message en tout sens pour m'assurer qu'il n'y avait rien de caché tant cette lettre m'a intrigué", dit-il en riant.

"J'espère que vous ne m'en voudrez pas trop car tout ce que j'ai dit auparavant était sincère. Je ne suis pas là pour vous piéger, chère cousine, mais bien pour vous épauler autant que je le pourrai, dans la mesure de mes possibilités. Et comme vous me l'avez si joliment dit tantôt, il y a plus de personnel sur vos terres que sur celles de mes parents, ce qui, vous vous en doutez, a énormément pesé dans la balance !"

Il eut un sourire rassurant pour Aleth, qui indiquait par là toute la sincérité de ses propos.

[Iris]

Aleth battit des paupières tandis qu'elle réfléchissait et cherchait un sens à tout cela :

"Mère ?...Mais...?...? Et elle n'a vraiment rien dit ? "

" Votre mère avait-elle écrit peu avant ? De sorte que ma mère aurait pu faire cette proposition en retour ? Manière d'échanger des politesses ?... Et de quand date cette lettre ? Plus de 30 jours ? Entre 30 jours et 15 jours ? Moins de 15 jours ? ... si vous le savez, ce pourrait constituer un indice car je suis revenue de la Tremière voilà environ 30 jours et que je revenais blessée du mariage Harte-Manning voilà 15 jours. "

Réfléchissant pour essayer de mettre de l'ordre dans ses idées et comprendre et butant sur une partie de ce qu'il avait dit : "... vous vouliez vous assurer de ma personnalité ?... et c'est ... moi ?.. qui vous ai convaincu d'accepter finalement ?... Mais ?.. je ...? ...vous ...?..."

Elle avait beau se rappeler qu'il s'agissait de son cousin, Ser Darren était avant tout fort bel homme et se voir ainsi mise en valeur comme élément déterminant une visite ... elle était prise au dépourvu et ne savait plus comment se comporter.

" Le personnel ... ?...Pesé dans la balance ?.." répéta-t-elle sans paraître comprendre la portée des mots, avant de parvenir peut-être à saisir : "Pour combien de temps... proposait-elle de... visiter Waterford ?"

Essayant de remettre sa tête en place : "Je serai bien sûre heureuse de vous compter parmi nous."

Après un temps : "Même si vous êtes un cachottier." sourit-elle

[Casaïr]

Darren ne pensait que cette nouvelle emballerait autant la jeune fille qui venait de lui apprendre qu'elle avait pris une flèche tout récemment ? Il n'était pas bien sûr de tout saisir, aussi s'attacha-t-il à la rassurer.

"Calme-t... calmez-vous, Aleth. Respirez profondément en fermant les yeux et comptez mentalement jusqu'à dix. Maintenant écoutez- moi tranquillement. J'ai reçu cette lettre à mon nom il y a à peine moins de quinze jours, cela n'a donc aucun rapport avec cette blessure, dont j'espère vous me donnerez l'origine mais rien ne presse."

Il se faisait rassurant mais son sourire l'avait quitté pour la toute première fois, réellement inquiet pour Aleth.

"Ensuite, oui, c'est bel et bien vous qui m'avez convaincu de venir. La lettre n'était qu'une invitation, et non une convocation à laquelle je n'aurai pu dire non même en le souhaitant, et non, elle ne précisait rien de plus. Et pourquoi me suis-je fié à vous ? Simplement parce que j'ai aimé ce que vous avez bien voulu me montrer de vous. Bien que portant sur vos épaules le poids des affaires familiales, vous restez attentives aux autres, même si votre maladresse vous empêche peut-être de l'exprimer comme il le faudrait, sans compter les convenances à respecter. Je sais ce que cela fait de porter sur ses épaules les espoirs de sa famille, je l'ai su dès l'instant où je suis devenu écuyer. Nous pouvons bien chercher à être qui nous voulons, pour nos familles, nous nous devons de paraitre tels qu'ils le souhaitent. Et vous cherchez à prouver à vos parents que vous être tellement plus que ce que vous êtes, n'ai-je pas raison ? Quelle jeune fille est capable de se lancer à la fois dans l'étude de l'architecture, de la médecine et même du maniement des armes, si ce n'est pour s'élever au dessus du paraitre ? A dire vrai, je suis admiratif devant votre persévérance, j'aurai aimé avoir votre clairvoyance à votre âge."

Pendant tout le temps où il avait parlé, il avait posé ses mains sur les épaules de la lady, lui faisant ainsi face . Elle finit par se calmer et il revit cette lueur qu'il avait entr'aperçu plus tôt.

"Je serai bien sûre heureuse de vous compter parmi nous. Même si vous êtes un cachottier." sourit-elle.

"Alors tant mieux, reprit-il en souriant de nouveau. Je suis heureux de vous voir ainsi. Bien, je pense qu'il va bientôt être temps que nous nous rendions jusqu'à ma modeste tente, afin que je commence à m'équiper, sinon je devrai monter à cheval habillé comme cela, et même si cela me sied au teint, je gage qu'une lance aurait tôt fait de me rabattre mon caquet."

Il fit un clin d'oeil malicieux à sa cousine avant de lui donner le bras.

[Iris]

Aleth reprit le bras de Darren, en méditant sa tirade avant de revenir sur certains points :

" Cette histoire de flèche, c'est avant tout une histoire de tentative de meurtre. L'assassin portait sur lui 10 Dragons d'or. Il a été impossible jusqu'ici de l'identifier. Quant à son mobile, il demeure obscur et j'en suis réduite à des hypothèses et spéculations."

" Qui aurait cru qu'on mettrait plus de moyen pour m'abattre que pour se débarrasser d'Oncle Tristifer, lui qui pourtant passe son temps à se mettre tout le monde à dos !" plaisanta-t-elle sans joie " Enfin, c'est ainsi. J'espère tout de même mettre la main sur le commanditaire avant la prochaine tentative."

Un peu embêtée : " Je suis si maladroite que ça ?... " dit-elle avec une grimace dépitée "Aïe aïe aïe... Si vous pensez ça, alors que vous êtes bienveillant envers moi, je n'ose imaginer ce que doivent penser les Florent ou Lady Silva." soupira-t-elle en levant brièvement les yeux au ciel.

Une autre pensée la traversa, guère plus joyeuse, mais elle la garda pour elle. La tente était en vue et elle reprit sous sourire vaillant : " Pour l'heure, je vous laisse vous préparer. Même sans faveur officielle, sachez que vous avez tout mon soutien. Bonne chance à vous !"


Elle gratifia Darren d'une révérence formelle et s’apprêtait à retourner à sa tente pour se changer et se faire coiffer.