[OdE Chap.5] Les barreaux de roseaux (Forêt engloutie)

[Casaïr]

"À sa manière..." répéta Aeldred, songeur. "Toi, tu envisages sérieusement de l'épouser ? Enfin, ça ne me regarde pas, je sais bien, et au moins tu ne manquerais jamais de rien. Et tu pourras enfin me dire si toutes les rumeurs sur la façon dont il a acquis sa fortune sont vraies."

Il blaguait en partie mais il réalisa qu'il n'avait jamais vraiment réfléchi comme cela et se rendait subitement compte, après être passé totalement au travers de la vie du village, que les gens ici se mariaient surtout par nécessité. On devait sûrement penser que l'amour viendrait plus tard. Avec les enfants.

"Je me demande si c'était pareil pour papa et maman. Je veux dire, je ne me rappelle pas comment ils en sont arrivés à se marier. Tu crois qu'il faut faire comme ça ? Penser à la génération suivante et donc se marier au plus vite pour enfanter ?"

Aeldred n'était pas certain de concevoir son avenir de cette façon. Il avait vu en Oanell la partenaire de vie idéale, mais devait-il faire comme Rhea et donc... trouver un amour de remplacement ? Dit comme cela c'était juste horrible.

"Enfin, c'est pas comme si demain toutes les filles des environs allaient soudainement me courir après !" rit-il un peu trop gaiement avant de redevenir sérieux. "

[Caeso Senjak Khan]

Jazkez pénétra dans l'enceinte du château ou il fut accueilli par quelques gardes à qui il confia les chevaux et Morch. Il avait aidé Oanell à descendre et l'accompagna jusqu'a sa chambre. Elle avait repris ses couleurs, comme si Terfynisel et ses terres l'irradiaient de leurs bienfaits. Il lui trouvait un air légèrement différent, quelque chose dans le regard. Était ce la conséquence de leur périple dans le marais ? Etait ce le fait qu'Aeldred avait failli mourir ? Ou bien était ce juste son visage, dont l'absence de lunettes dévoilait les courbes et illuminait les yeux.

-Repose toi, je vais aller voir Blodwen lui dire que nous sommes rentrés sains et saufs. Demain après déjeuner nous irons lui raconter toute l'histoire.

Il posa le carnet de Morch à coté de son lit et sortit de la chambre. Il allait refermer la porte derrière lui quand il s’arrêta et ajouta.

-Je préfère quand tu me ramènes toi, même si c'est aidée de deux gardes comme le soir de l'Earrach Feis. Maintenant on est quitte. Plus qu'à recommencer.

Il lui fit un petit clin d'oeil qu'il n'était pas certain qu'elle verrait.

-Moins une paire de lunettes.

Il tira doucement la porte et rassemblant ses dernières force de la journée s'en alla informer Blodwen de leur retour.

[Iris]

La nuit à Terfynisel était bien sombre, car personne ne voyait d'intérêt à gaspiller beaucoup d'argent pour s'éclairer. On se rassemblait près du foyer et on s'occupait un peu avec des tâches ne requérant pas trop les yeux, avant de se coucher tôt. Il arrivait qu'on se réveille dans la nuit, ravive le feu, discute un peu, et retourne se coucher jusqu'à l'aube. Des chiens aboyaient quand ils sentaient une présence anormale près de la maison, comme un renard, un loup, un blaireau, un sanglier ou même un ours.

Au château, à la rosace et à l'auberge brillait toute la nuit au moins une lumière faible. Ces lieux devaient être vus des voyageurs, des varigaux et des égarés en détresse.

Les gardes du château se couchaient après Blodwen et se levaient avec elle. Ils dormaient à côté de la grande porte d'entrer et entendaient quiconque se signalait. Jazkez arrivait avec Oanell et un cadavre momifié. La découverte de la nature de ce paquet fit bondir ceux qui avaient voulu décharger le cheval pour le mener à l'écurie. Passe encore de voir des morts, mais normalement ils étaient frais et on était un peu prévenu. Dans la cour, une discussion animée attira l'attention de quelques serviteurs.

Oanell et Jazkez à l'intérieur du bâtiment n'en entendaient rien. Les chambres qui n'avaient pas été préparées par les serviteurs étaient dans leur état normal : fraîche, voire froide. Un homme d'âge moyen vint à la rencontre de Jazkez pour savoir s'il voulait des bouillottes (des pierres chauffées et enveloppées de tissu, mises en particulier au niveau des pieds du dormeur).

Blodwen s'occupait dans l'herboristerie du château qu'elle avait créée et qu'il convenait désormais de remplir petit à petit.

[Casaïr]

Rhea n'était pas des plus bavardes et les tentatives de son petit frère d'adoption pour lui arracher un vrai sourire obtenaient des résultats mitigés. Il voyait bien qu'elle finirait sans doute pas épouser un homme qu'elle n'aimait pas uniquement "parce qu'il le fallait bien, non ?" Enfin, ça ne se résumait pas uniquement à cela mais dans la tête du jeune homme ça y ressemblait furieusement.

Ils échangèrent encore des banalités pendant quelques minutes avant qu'Aeldred ne se décide à partir. Il embrassa Rhea sur la joue, la prit dans ses bras.

"Je t'aime, grande sœur. Et si tu as envie de parler, n'hésite pas. Après tout, je te dois bien ça, non ?"

Il quitta la dàmàthair, vit la porte se refermer. Il aurait voulu tellement plus pour elle, mais c'était impossible. Il soupira et se rendit jusqu'au puits du village où il puisa un peu d'eau qu'il se passa sur le visage. Il observait le ciel insensible à ses questionnements, percé de millier d'étoiles. Même s'il avait eu du mal à se l'avouer avant, il aimait ce village malgré les drames qu'il y avait vécu. Il ne pouvait cependant ignorer les ténèbres qui tournaient autour, puisant leurs forces dans les racines de la forêt. Il manquait de certaines connaissances et cela l'agaçait. Ce village n'avait que ses dàmàthairs pour éduquer les jeunes mais cela s'arrêtait net une fois ceux-ci volant de leurs propres ailes. Lui-même ne tenait son vernis d'éducation que de son père qui avait commencé à lui apprendre à lire et à écrire, enseignement poursuivi par Fredelme et Oanell. Il sentait malgré cela que ce n'était pas suffisant. Pour lui comme pour le village. Il avait envie de plus, bien plus.

"Il va falloir que j'en parle à Blodwen demain", se dit-il.

C'était un pari risqué pour l'avenir du village et qui risquait d'être coûteux. Mais il était sans doute possible d'en retirer quelque chose de bénéfique, non ?

Le village était désert à cette heure, hormis peut-être quelques retardataires comme lui qu'il saluait d'un geste amical avant qu'ils ne disparaissent au coin d'une maison, dans l'embrasure chichement éclairée d'une porte. Il ne voyait pas leurs visages, se demandait s'il pourrait un jour ressentir ici la même chaleur et le même amour que là-bas. C'était sans doute possible, mais il lui faudrait changer les esprits de Terfynisel. Ce serait sans doute le plus dur.

Il se relevait en frottant son pantalon, se rappela que c'était celui d'Ergat. Il se promit de le lui rapporter le lendemain avec le reste des vêtements qu'il lui avait prêté, une façon comme une autre de prendre de ses nouvelles, et voir comment Tuala, Madennig et lui avaient récupéré des événements. Il prit alors la route de sa maison d'un pas lent, réfléchissant toujours à ce qu'il dirait à son amie, seigneur de Terfynisel.

[NailsEater]

S'était-elle endormie ? Oanell suivait les conversations qui se déroulaient à côté d'elle. Ainsi ils étaient arrivé à Terfynisel ? Rien qu'à l'idée de dormir dans son propre lit la barde se sentit mieux. Elle se laissa porter à sa chambre le trajet lui sembla plus rapide qu'à l'accoutumée, s'était endormie une fois de plus. Tout semblait flou autour d'elle.

-Repose toi, je vais aller voir Blodwen lui dire que nous sommes rentrés sains et saufs. Demain après déjeuner nous irons lui raconter toute l'histoire.

Jazkez ? Oui, c'était Jazkez qui l'avait raccompagné.

-Je préfère quand tu me ramènes toi, même si c'est aidée de deux gardes comme le soir de l'Earrach Feis. Maintenant on est quitte. Plus qu'à recommencer.

L'Earrach Feis ...

C'est fini. Avec Aeldred. Je n'ai pas eu le temps d'en parler, mais ... on étais pas fait l'un pour l'autre, non ?

Les mots étaient sorti tout seul. Ils avaient traversé sa bouche asséchée. Pour la première fois depuis quelques heures, elle regarda vraiment le chevalier tandis qu'il sortait de sa chambre. Elle n'entendit pas la suite, sombrant dans un sommeil profond et tant attendu.

[Iris]

Soir Earrach Feis + 2 jours


Aeldred

Le jeune élu de l'Unique avait compris que sa chère Rhea était attachée à la communauté, pour le meilleur et pour le pire : s'oublier et se résigner. Elle "devait" se marier à quelqu'un de convenable. Joavan était disponible et la courtisait, alors pourquoi pas ? Ce n'était pas un homme très amusant, mais il était stable et personne ne l'avait jamais vu être violent. Son principal défaut aux yeux de la dàmàthair était qu'il vivait toujours hors de la communauté, qu'il n'y participait pas vraiment.

Aeldred méditait sur les destins en rentrant chez lui, bercé par les ululements.

Pwyll

Temporairement libéré de ses devoirs, Pwyll pouvait s'occuper de lui, dans sa ferme près de Terfynisel ou rester dans la tour hilderine à Swelbecky pour surveiller son dangereux pupille.

Oanell et Jazkez

Oanell s'était effondrée, vidée, endormie tout habillée et le hilderin avait dû l'aider à se débarrasser de ses bottes au moins. Le serviteur rencontré dans le couloir apporta des bouillottes pour le chevalier et la barde.

Blodwen avait accueilli les nouvelles avec dignité et remercié Jazkez d'être venu lui faire son rapport immédiatement.

Au petit château de Terfynisel le calme revenait et les derniers mouvements s'éteignaient tandis que les gens s'endormaient peu à peu.


Matin

Un ciel nuageux, quelques pluies entrecoupées de rayons de soleil. Le village s'éveillait sous un temps de saison sans surprise. Avec le printemps qui commençait venait le temps du dur labeur en extérieur, qu'il s'agisse des potagers, des jardins, ou des champs.

Blodwen prenait son petit déjeuner dans son bureau, plus facile à chauffer et plus personnel aussi.

[Casaïr]

Aeldred s'était réveillé un peu avant son heure habituelle et c'est véritablement là qu'il sentit l'exagération de la veille. En plus de la raideur musculaire, il lui semblait avoir cauchemardé cette nuit, son lit portait les traces d'une lutte solitaire dont il ne se rappelait qu'à peine et dont les bribes de souvenir s'ingéniaient à lui filer entre les doigts. Il se passa une main dans les cheveux, se rendit compte qu'il lui faudrait bientôt les couper. Il se leva en frissonnant dans la fraicheur de sa chambre, fit sa toilette, se rasa également, un geste qu'il n'effectuait que rarement. Il observa son reflet dans l'eau sans se trouver changé, du moins physiquement. Il resta là à réfléchir avant de s'habiller, de plier les affaires d'Ergat avec tout le soin nécessaire. Il quitta ensuite sa chambre pour aller déjeuner. son regard tomba dans le coin où il avait jeté tout ce qui lui rappelait Oanell, toutes ses petites marques pour faire de l'intérieur un endroit accueillant où l'on aimerait vivre, pas simplement habiter.

Son repas avalé, il replaça presque religieusement ces éléments de décoration qui n'avaient pas demandé un tel sort. Ils n'étaient pas responsables de son mal-être à ce moment-là. Il récupéra son manteau sans empressement, enfila ses bottes et sortit. Sa première vision fut celle de l'atelier. Il sentait que, quelque part, la vieille bâtisse avait encore quelque chose à offrir et c'était à lui que revenait d'exaucer son souhait. Cela demanderait certainement du temps mais cela en vaudrait la peine, que Blodwen le suive dans cette affaire ou pas.

Je devrais en parler à Fredelme aussi, songea-t-il. Il n'avait pas eu le temps de voir le vecteur mais irait le voir dès qu'il en aurait fini avec les hilderins. Et puis, il était possible que cela intéresse le seigneur de Terfynisel.

"Je me demande quand même ce qu'ils vont dire", dit-il en riant tout seul, et pour cause : il se serait sans doute étouffé d'horreur si on lui avait proposé la même idée ne serait-ce que deux jours plus tôt.

C'était finalement de très bonne humeur qu'il se rendit au château rejoindre Jazkez, Oanell et Pwyll avant leur entrevue avec Blodwen.

[Caeso Senjak Khan]

Jazkez referma doucement la porte de la chambre. *Fini avec Aeldred ? J'ignorais même que ça avait commencé.* Dans le couloir il croisa le serviteur qui revenait avec les bouillottes.

-Occupez vous de la Barde de Terfynisel. Qu'elle puisse se reposer dans des effets propres et non pas avec les haillons qu'elle porte actuellement.

Il trouva Blodwen au niveau de l'herboristerie du château. Il l'informa de leur retour et du succès de leur mission. Il ne fit mention d'aucun détails ni du carnet de Morch, à l'exception de sa dépouille qu'ils avaient rapatrié afin qu'il puisse bénéficier d'une sépulture décente. Il prit congé après s'être donné rendez vous dès le lendemain pour un rapport complet et détaillé. Avant de rejoindre sa chambre, il s'assura que son compagnon bénéficiait lui aussi d'un endroit adapté pour reposer. Il enleva ses bottes et s’allongea enfin. La journée défila dans son esprit. Il s'endormit sans s'en rendre compte, un carnet noir serré contre la poitrine.

[Pwyll]

C'est à la tour des Hilderins que Pwyll passa la nuit. Pour lui, moins il avait à cuisiner et mieux il se portait et puis, surtout, il prenait au sérieux son rôle auprès d'Aeldred et Roux.

Il vint gentiment leur flatter l’encolure sans gêner leur somnolence. Dormaient-ils près du feu ? Si c'était le cas, pourquoi pas en faire autant s'il était possible de ramener depuis une chambre une paillasse et des couvertures sans trop abuser de la patience des osfers et autres je sais pas quoi... de toute façon on le laissa faire son truc dans son coin, les gens dormaient presque tous.

Demain, direction Terfynisel au petit matin pour rejoindre les autres. Cette ruine maudite... il faudrait y retourner. Aeldred était vivant ! Et Jazkez... Jazkez était bizarre depuis... le... la... desc....

Le sommeil l'emporta.

[NailsEater]

La nuit emporta ce qu'il restait de conscience de la barde. Si quelqu'un s'occupa d'elle, elle ne s'en rendit pas compte. Passant d'un rêve à un autre, la spectatrice se démêlait avec les dédale noueux de son subconscient. A son réveil, aucun
de ces rêves ne subsistaient, seul restait la sensation d'une nuit pleine. Le jour commençait à poindre aussi avait elle encore le temps.

Oanell resta quelque instant dans son lit. Les yeux rivés au plafond, essayant de se rappeler la veille. Petit à petit, la journée défilait devant ses yeux. Le trajet, l'attaque, le cercle de pierre devant les ruines, Aeldred qui saute dans l'eau, ...
Les larmes recommencèrent à couler le long de son visage. Il était vraiment ... mort. Pourtant, elle se rappelait Aeldred qui chevauchait avec eux vers Terfynisel. Avait-elle tout inventé ?
Ces pensées en tête, la barde se décida à se lever. Elle se dirigea vers le rez de chaussé afin de se laver. Après avoir demandé de l'eau chaud pour pouvoir faire sa toilette, elle s'installa dans la petite salle dédiée. Quand l'eau fut prête, elle profita de se laisser aller dans l'eau chaude. Retirant la crasse du marais, elle nettoya ses cheveux et son corps avec énergie. Chassant par la même la saleté et la peine accumulé ses derniers jours. Une fois bien propre, Oanell enfila sa chemise de nuit et se retira dans sa chambre afin de s'habiller, se coiffer, se maquiller avant de rejoindre les autres chez Blodwen.

Cela faisait quelques fois qu'elle se faisait la remarque, mais il lui faudrait acheter de nouvelles robes ... et de nouvelles lunettes. Si le voyage à Osta Baille se faisait, elle pourrait en profiter. Elle attrapa une de ses robe. Elle aimait la façon dont son col haut mettait en avant son visage et permettait de glisser un collier lourd qui rehaussait le tout. La robe était longue et assez droite, coupée par une ceinture large. Elle s'installa ensuite à sa coiffeuse. Elle renonça à un maquillage prononcé sans ses lunettes et préféra simplement cacher le rouge qui pointait après avoir pleurer beaucoup trop. Elle ajusta donc son teint et se contenta d'un rouge à lèvre clair et de quelques touches de couleur sur ses paupières avant de parfaire sa coiffure. Commençant par se démêler les cheveux, elle profita qu'ils ne soient pas encore sec pour se faire un chignon tressé assez simple et y accrocher un peigne légèrement ouvragé qu'elle possédait depuis quelques années.

Elle s'observa sous toutes les coutures avant de décider que tout était parfait. Elle mit alors ses chaussures avant de se mettre en route pour la cuisine. Elle y récupéra de quoi déjeuner dans son bureau. Elle ne mangeat pas beaucoup, juste ce qu'il fallait pour tenir la matiner puis se dirigea vers le bureau de Blodwen. Elle traversait le couloirs, saluant les gardes et serviteurs qu'elle croisait avant de toquer à la porte de sa seigneur, puis d'entrer quand elle en reçu l'autorisation.