[OdE Chap.5] Les barreaux de roseaux (Forêt engloutie)

[Casaïr]

Aeldred retrouva ses compagnons dans le bureau de Blodwen. Nettoyés de la crasse du marais et vêtus d'habits frais, il était difficile d'imaginer ce qu'ils avaient affronté là-bas mais les regards ne trompaient pas. Surtout celui d'Oanell. Elle semblait toujours incrédule quant à ce qui s'était passé et il pressentait qu'elle nierait probablement toute forme d'explication de sa part pour se préserver. Ce serait sans doute la meilleure chose à faire, sinon, comment survivre mentalement à un tel choc ? D'ailleurs, devait-il vraiment dire qu'il était mort à ses amis ? Devait-il les ménager sur ce point et leur permettre de reprendre une vie, sinon normale, au moins conforme à leur vision ? Et puis il repensa à Rhea et à ce qu'elle risquait de faire : se plier à la conformité du village pour en assurer la survie.

Ça sera dur à encaisser après tout le reste...

Il secoua la tête, ce n'était pas vraiment le moment de penser à ça, il y avait d'abord le rapport de la veille à transmettre puis sa propre demande. Il ne savait vraiment pas comment celle-ci serait accueillie et espérait ne pas essuyer un refus trop catégorique...

Tiens, voilà que je recommence, s'amusa-t-il. Il faut rester positif, si elle ne veut ou ne peut m'aider, je ferai le maximum seul pour alléger son fardeau.

Ses compagnons semblant réticents à prendre la parole, c'est finalement lui qui expliqua ce qui s'était passé lors de leur expédition.

"Nous avons retrouvé les hilderins perdus, enfin, ce qu'il en restait. Le seigneur Jazkez pourra t...v...vous confirmer qu'ils n'ont pas survécu. Nous les avons trouvé sur un îlot sur lequel repose ce qui semble être une tour en ruine. Le sol s'est effondré sous leur pieds et au moins deux d'entre eux sont morts écrasés. Les autres sont morts de faim, incapables de remonter. Le seigneur Jazkez a trouvé le journal d'un des hilderins, Morch je crois. Il relate leur confrontation contre la sorcière et la trahison du seigneur Uilleam ainsi que de plusieurs autres chevaliers. Ils étaient tous en proie à la fièvre chimérique qui nous a causé problème à Swelbecky. Ils semblent également avoir été délesté de leurs bourses alors qu'ils gisaient dans ce trou. Il y avait un autre corps mais nous ne connaissons pas son identité : seul le seigneur Jazkez était descendu et l'endroit était bien trop traître pour que nous puissions le rejoindre sans crainte d'un nouvel éboulement.

"Oanell est tombée sur des pierres gravées faisant apparemment le tour de la ruine, sans doute un rituel demorthèn mais aucun de nous n'en connait la finalité, nous n'avons pu que supposer qu'il était là dans un but de protection ou de confinement. Pwyll semblait avoir une vague idée de ce que cela pouvait être mais souhaitait demander conseil à Ultana auparavant, le seigneur Jazkez et lui semblent persuadés que quelque chose s'y trouve prisonnier en tout cas. Nous avons préféré partir et demander conseil avant d'agir de façon inconsidérée."

"Il y avait également un feond dans l'eau, mais pas le drewfillig. Celui-là était bien plus agressif. Le seigneur Jazkez et Pwyll l'ont éliminé à coup de harpon et nous nous en sommes sortis sans trop de dommages. Enfin à part moi vu qu'il semblait que j'étais à son goût mais je vais bien."

Il éluda totalement ses gestes et sa mort à son amie, elle n'avait pas besoin de savoir, elle n'avait pas été confrontée à l'absurdité de son comportement d'hier ni à ce qui l'avait poussé à le faire. Pas encore en tout cas.

"Ha, nous sommes revenus avec le corps du chevalier Morch", ajouta-t-il dans un souci d'exactitude.

[Caeso Senjak Khan]

Le plafond du bureau de Blodwen était recouvert d'un montant en bois brut dont l’intérêt principale était d'éviter les petites chutes de débris de mortier ou d'enduit. Il essaya d'en évaluer la hauteur et l'imaginait avec un trou béant au milieu d’où le regardait Uilleam et la sorcière. Aeldred relatait au seigneur du domaine de Terfynisel le déroulement de leur journée d'hier lui occasionnant diverses moues dubitatives, réprobatives ou conciliantes et finalement un air satisfait lorsqu'il fut question de comment périt le Féon.

"Ha, nous sommes revenus avec le corps du chevalier Morch", ajouta-t-il dans un souci d'exactitude.

*Ah... presque un sans faute* Pensa t'il en se mordant la lèvre inférieure avant de prendre la parole à son tour.

-Aeldred a très bien résumé pour l'essentiel. La question des hilderins et de l'utilité de ce cercle de pierre démorthen est pas résolu pour autant. On a retrouvé la trace de trois hilderins sur l'ensemble, le reste est dans la nature avec feu Uilleam de Terkhên à leur tête. Apparemment ils se sont retournés contre leurs compagnons, sous l'influence de la sorcière rousse. Il y a eu un affrontement au niveau de cette bâtisse. C'est la que le plancher à cédé et qu'on a retrouvé les cadavres. Mais Morch est pas mort tout de suite. Visiblement ils ont pas jugé nécessaire de descendre l'achever pensant que ce qui habitait là ferait le boulot. Mais Morch s'est pas fait bouffé. Il a tenu le coup et a tout consigné dans son carnet. Oanell vous donnera les détails. En tout cas c'est grâce à lui qu'on s'en est tiré sains et saufs. Sans ce carnet on aurait p'être continuer à chercher les autres et du coup...

Il secoua la tête en serrant les dents.

-Terfynisel a pas besoin d'une deuxième bande des roseaux, et l'ordre hilderin non plus. Mais là c'est pas pareil. Uilleam a du soutien et puissant. Si vous voulez mon avis on pourra pas régler cette histoire tout seul. Pour Uilleam ça concerne l'ordre et connaissant Ergon Tamir elle se fera un plaisir de nettoyer la saleté. Pour la sorcière et le cercle... Pwyll ? Tu penses qu'Ultana pourra nous en dire plus ? En tout cas pas besoin de réunir un tsioghair pour comprendre que c'est pas un lapin qui s'planque au fond d'ce trou. J'ai vu un autel dans la pièce en bas, avec des inscriptions.

Il s'interrompit, se tournant vers Oanell et Pwyll.

[Iris]

Blodwen avait déjà fait part de ses condoléances à Jazkez, elle ne s'étendit pas de nouveau sur la question, et s'était installée à son bureau et avait griffonné quelques notes qu'elle examinait pensivement tout en répondant :

" Je serais étonnée que vous tiriez quoi que ce soit d'Ultana. La demorthèn est tout juste bonne à faire quelques gestes rituels lors des fêtes. Une ermite qui ne s'intéresse qu'à ses esprits."

La relation entre la seigneuresse et la demorthèn n'avaient jamais eu l'occasion de s'améliorer. Elles se supportaient quand elles se voyaient, c'était tout.

Elle releva un instant le nez de ses papiers :

" Donc un second feond ? Vous avez pu l'éliminer et revenir sains et saufs, c'est une bonne nouvelle. Il faudrait faire part de votre expérience aux gardes du domaine, qu'ils se rendent compte que le travail d'équipe permet de les vaincre sans pertes. J'espère que nous pourrons nous libérer de la crainte de ces monstres."

La dame se releva, et fit quelques pas vers la fenêtre, et regarda dehors en réfléchissant.

" Vous pensez à une nouvelle bande de brigands ? Notre domaine serait sans doute le plus exposé à leurs méfaits. Quoi qu'il en soit, cela mérite d'être tiré au clair. Vous devriez parler au commandeur des Ronces, Hafnir, il me paraît pouvoir être de bon conseil en la matière. "

" Mais avant cela, vous souhaitez peut-être retourner sur l'île, ramener les dépouilles des malheureux et mener de plus amples examens ?"

[Pwyll]

Pwyll écouta Blodwen débiter ses avis qui perdirent crédit à ses yeux dès sa première phrase, niant toute capacité à Ultana.

En voilà une drôle d'attitude pour celle qui devait s'occuper de Terfynisel, alors que c'était le cœur de leurs traditions qu'elle attaquait ainsi.

- Hum, tout de même, si une personne dans les environs peut en savoir plus sur les pierres sacrées posées par les demorthèn autour de ces ruines, c'est bien Ultana. Vu la gravité de ce qui s'y passe, y'm semble que oui, faut chercher l'aide d'une personne qui s'y connaît.

Pour le reste, je suis personne pour parler, mais bon... déjà retourner chercher l'aide d'Ergon Tamir ça me semble un peu... enfin ça montre qu'on sait pas se débrouiller quoi.

Pwyll faillit ajouter un commentaire sur le fait d'aller en plus chercher les Ronces, mais s'abstint.

Comment Uilleam aurait déjà réuni une troupe de plus de quelques gars ?

En tous cas, oui, mon intention c'est de retourner aux ruines avec Ultana, si l'osfer Jazkez m'autorise.

[Iris]

Blodwen tapota son bureau -- de l'agacement ? De l'inquiétude ? De la nervosité ? De l'impatience ?

" Il y a là plusieurs points pertinents."

Elle prit quelques secondes pour organiser ses idées :

" Si la mort des hilderins suit de près leur disparition, elle date d'il y a environ 6 mois. Il y a des communautés dans le marais, des hameaux qui dépendent des Terfynisel -- peut-être pourront-ils proposer des pistes ? "

" Pour ce qui est de demander l'aide des hilderins... Nous en discuterons avec Oanell et vous ferons part de notre décision. "

Le domaine Terfynisel était lié à l'ordre des Ronces par un accord nommé "Haie de ronces" qui donnait un devoir aux Ronces d'aider la seigneurie contre les brigands et les feondas.

" Enfin, pour ce qui est de l'examen des ruines, Aeldred, tu avais commencé à étudier certaines disciplines..." Elle eut un coup d'oeil vers Jazkez qui n'était pas au courant, et ne s'étendit pas. " Essaie de voir si tu peux nous éclairer. Si toi et Oanell pouvez tirer parti des ressources livresques du château, n'hésitez pas." Elle ajouta, sans regarder Pwyll : "Bien sûr, vous pouvez demander conseil à la demorthèn Ultana, vous n'avez pas besoin de ma bénédiction pour ça."

[Casaïr]

Tandis que Blodwen réfléchissait et s'exprimait à haute voix, Le cœur d'Aeldred battait à tout rompre. Il voyait bien la mine déconfite de Pwyll mais il fallait bien reconnaitre qu'à un moment la relation entre la demorthèn s'était considérablement dégradée, et il savait que c'était à elle (et à Ultana, évidemment) de faire une tentative de rapprochement pour éteindre les feux de la dissension.

"D...dame Blodwen, dit-il d'une voix qu'il aurait préféré plus assurée, puisque vous évoquez la bibliothèque du château, j'aurai une demande à vous faire. Enfin, j'aurai besoin de l'avis d'Oanell aussi. Je pense que c'est important et j'aimerai pouvoir en démarrer les préparatifs dès que cette histoire sera réglée, c'est pourquoi j'aurai besoin de vous en parler maintenant, si vous le souhaitez bien entendu."

Voilà.

Il s'était lancé. Restait à attendre la réponse de la seigneuresse.

[Iris]

La seigneuresse Blodwen écoutait et semblait attendre la suite :

" Je suis toujours à l'écoute de ceux qui veulent me parler, il n'y a pas à demander d'autorisation. C'est un sujet complexe à aborder en privé ? "

Elle cherchait une explication à la demande prudente d'Aeldred.

[Casaïr]

Quand on veut en dire le moins possible pour éviter de dire des bêtises, il ne faut pas s'étonner de n'être compris que partiellement, se gronda Aeldred.

Toutefois, il était déjà heureux d'avoir l'accord de Blodwen. Maintenant, voulait-il en parler juste avec Oanell et son amie, afin de restaurer un peu du lien d'amitié qui s'était lié entre eux, ou en parler devant tout le monde, l'obligeant de ce fait à un ton plus formel mais, certainement, plus adaptée à sa demande ?

Finalement, que les autres soient présents ou pas ne l'empêcheraient pas de parler, aussi finit-il par prendre une décision.

"Ce n'est pas complexe même si je pense que cela prendra tout de même du temps. Cela demandera de... changer les mentalités des habitants de Terfynisel, mais je pense que cela va dans la direction que tu... vous souhaitez pour l'avenir de la région. Je peux donc tout à fait en parler devant tout le monde."

Il avait un sourire un peu timide sur les lèvres, il n'était clairement pas habitué à parler autant et ce qui allait suivre allait le mettre à rude épreuve. Il inspira profondément pour retrouver un semblant de calme.

[Iris]

Blodwen ne dit rien et fit juste signe à Aeldred de poursuivre.

[Casaïr]

"Avant d'en venir à ma proposition, je me dois d'expliquer comment j'en suis venu à cette conclusion", commença-t-il prudemment.

"Récemment, ma vie a connu un tour... inattendu, et après avoir finalement touché le fond, j'ai commencé à sérieusement réfléchir à ma vie et plus encore, à celle des habitants de Terfynisel. Mais c'est en discutant hier soir avec Rhea que j'ai vraiment compris que, finalement, le mal qui m'obsédait depuis des années est finalement présent en chacun de nous ici. Rhea m'a dit que Joavan l'avait demandé en mariage et je pressens qu'elle va accepter. Pas par amour, mais par devoir, envers le village, envers ses futurs enfants. Passe en premier la survie et, seulement si on en a le temps, on essaiera de vivre. Ce n'est peut-être pas ce qu'elle ressent, mais c'est ce que moi j'ai compris."

"Notre communauté est tellement renfermée sur elle-même qu'elle n'a aucune possibilité de s'améliorer. D'ailleurs elle ne le cherche pas, si tu regardes dehors ; les gens sont contents de leur sort, se disant qu'au final ce serait sûrement pire ailleurs. J'ai pensé comme ça tellement longtemps que je comprends parfaitement que l'on puisse préférer l'immobilisme rassurant à un quelconque pas en avant vers un inconnu effrayant."

Il se passa la langue sur les lèvres, le temps de rassembler ses mots.

"Et c'est là où je veux en venir : je ne veux plus être chasseur. De toutes façons je n'avais choisi cette occupation que pour m'éloigner du village. Seulement je me rends compte que si je veux l'aider, je dois prendre une part active à son changement, ne plus être complice de sa stagnation. Les dàmàthairs font ce qu'elles peuvent avec ce qu'elles ont à leur disposition mais ne peuvent guère leur enseigner que ce qui est nécessaire à la vie d'un petit village comme le nôtre, alors que si nous le voulons plus grand, il faut faire davantage. Moi-même je n'ai acquis certaines de mes connaissances que grâce à l'enseignement de mon père, puis de Fredelme et enfin d'Oanell. Je ne veux plus être chasseur, répéta-t-il, je veux devenir professeur. Je veux enseigner aux enfants et aux adultes qui le veulent à lire, écrire, et compter au delà ce qu'ils connaissent actuellement. Je veux apprendre les sciences pour partager ensuite mon savoir. La connaissance renforcera les habitants et, par ricochet, le village dans son ensemble."

"J'ai bien réfléchi et j'ai déjà un lieu pour cela : le vieil atelier de mon père. Je le ferai entièrement réparer, ou abattre pour construire un bâtiment totalement neuf, je ne sais pas encore. Mais ce qui est certain c'est que je dispose d'assez de place pour une classe d'au moins 15 personnes et je pourrai même y aménager une bibliothèque, et c'est là que j'ai besoin du soutien de notre seigneur : mes moyens financiers sont bien trop limités pour acquérir ce précieux savoir tout seul. Il me faut des livres, du papier, des plumes et de l'encre ou, à défaut, des ardoises et des craies."

"Je ne demande pas une réponse immédiate, je sais que cela demande une réflexion plus poussée, notamment sur le coût final de tout cela, mais je pense que c'est une opportunité à saisir."

Il s'arrêta une minute. Il avait tant parlé qu'il était presque à bout de souffle mais il était heureux d'avoir pu le dire. Restait à entendre la réponse de Blodwen. Inconsciemment, il retenait son souffle.