[OdE Chap. 7-4] La reconnaissance du père I (Madenig)

[Casaïr]

Madenig était de garde ce soir, devant la porte de la chambre de Blodwen, au château des seigneurs de Louarn. Elle avait été suffisamment reprise ce soir par l'osfer Jazkez pour seulement imaginer glisser un pas du mauvais côté du couloir.

La jeune femme soupirait et ses pensées dérivèrent, alors qu'elle se rappelait comment elle avait fait pour en arriver où elle en était aujourd'hui. C'était bien sûr une source de fierté quand on repensait à là d'où elle venait. Dire que tout avait commencé à ce moment…

***

An 904, première semaine de Luchar.

Madenig, à tout juste seize ans, est une jeune fille débordante de vie, un peu trop même aux yeux de certains des habitants de Salaïs qui la regardaient concourir avec les garçons d'un air désappointé.
La vie au village était paisible bien que la jeunesse, imitant plus ou moins la conduite de Madenig, se dépensait tant qu'elle pouvait entre course, escalade et autre activité plus ou moins dangereuse dans le seul but de détrôner celle qui ne serait bientôt plus une adolescente.

Parmi eux se trouvaient cinq garçons : Bryn était sans nul doute le seul capable de rivaliser avec les prouesses de la jeune femme, suivaient ensuite ceux qui se faisaient appeler pompeusement "la Bande des Quatre" et composée d'Aedan le chef, Declan son cousin, Gauvin et Neven qui avait plus un tempérament de suiveur.

Tous les six étaient présentement au bord d'une falaise surplombant une crique, et la Bande des Quatre toisait tant qu'elle pouvait Madenig, invitée tout comme Bryn pour un nouveau défi.

"Aujourd'hui, criait presque Aedan pour couvrir le vacarme causé par les vagues furieuses de l'océan, on te défie dans un test de courage !"
"Ouais !" firent les trois autres, prouvant ainsi une nouvelle fois à quel point ils manquaient de répartie.
"Le but, reprit le chef de bande en bombant le torse, c'est de sauter d'ici jusque dans l'eau. Si tu n'y arrives pas, tu prouveras que t'as ptèt de bonnes jambes mais que t'as pas de couilles !"
"Ouais !"
"Attendez un peu, bande de bulots !" S'alarma Bryn qui s'était avancé puis était revenu vers la jeune femme. "Y a presque vingt mètres, Mad', et des rochers en contrebas. Si tu sautes d'ici, tu risques d'y passer."

Il se tourna vers les quatre vauriens et tenta de les asticoter :

"Et pourquoi vous ne montrez pas l'exemple, hein ?"
"Les dames d'abord", railla Aedan d'un air suffisant.

Le saut était clairement dangereux, même selon les normes de Madenig. D'un autre côté, elle avait bien envie de claquer le museau de ce prétentieux d'Aedan. Cela valait-il seulement toute cette peine ?

[Madennig]

Les embruns fouettaient le sourire suffisant de Madenig. Ces quatre là avaient déjà bien souffert grâce à ses efforts, et le défi du jour était de bonne guerre. Pourtant, il n'était pas envisageable pour elle de les laisser gagner. Ni aujourd'hui, ni demain.
Elle les toisait, même si elle était la plus petite des cinq et d'un geste nonchalant, sa main replaça une mèche folle derrière son oreille.

"Ouais..." pesa-t-elle ensuite, en regardant les vagues s'écraser contre la roche brune.

Son regard moqueur brûla Bryn, avant de s'attacher les cheveux. Elle était bien trop calme, elle préparait un truc...

"D'accord... J'ai pas de couilles. Moi, ça m'va...."

Ses sourcils se haussèrent, tout comme ses épaules, en signe d'impuissance.
Puis, elle se mit dos au vide, et s'accroupit, glissa un pied puis l'autre le long de la paroi pour commencer à descendre la falaise à mains nues.

"Mais le dernier en bas bouffera toutes les fientes d'hirondelles de la grange du Père Baltar !" cria-t-elle contre le vent.

Le temps que le nouveau défi parvienne à leurs oreilles, et à certains jusqu'à leur cerveau, elle était déjà à un mètre sous eux. La partie risquait quand même d'être compliquée, cette fois...

[Casaïr]

"Qu...quoi ?! s'étrangla Aedan qui prenait soudain conscience qu'il perdait la main sur son propre défi. Eh, c'est pas du tout ce qui était..."

Il fut dépassé par Bryn qui déjà descendait à toute allure sur la roche rendue glissante par le vent marin. Le risque qu'il prenait était insensé mais il ralentit quand il fut suffisamment proche de Madenig.

"Tu es complètement folle, s'esclaffait le garçon. Tu sais qu'on risque de mourir comme des cons ?"

Il leva les yeux et put voir que seul Aedan avait eu le cran de partir à leur poursuite. Il y avait déjà quelques mètres qui les séparait.

"Au moins, il y en a trois qui ont encore un peu de cervelle."

Madenig essayait de ne pas prêter attention aux pitreries de Bryn, le seul garçon qu'elle considérait comme un ami (bien que cette amitié soit quelque peu particulière, il fallait bien l'admettre), mais elle ne put s'empêcher de regarder Aedan qui descendait en pestant tout ce qu'il pouvait sur "cette connasse même pas capable de respecter les règles".

Cela lui arracha un rire juste avant que son pied ne glisse. Une seconde d'inattention et voilà qu'elle ne se tenait plus qu'avec ses mains !

"Bon sang, Mad' ! Accroche-toi, j'arrive !"

La jeune fille avait la possibilité de s'en sortir par elle-même ou pas, d'autant que la situation était aussi dangereuse pour le jeune homme qui cherchait des points d'appui suffisamment solides pour tenter l'impossible.

Spoiler () :

Juste pour que tu ne penses pas que je décide de façon arbitraire, je tire au dé les moments tendus de ce genre

[Madennig]

Les pieds pendaient dans le vide, Madenig avait perdu son sourire arrogant pour une mine plus combative. Elle baissa les yeux pour détecter une ou deux prises pour y poser ses pieds.

"C'est bon !" gronda-t-elle à l'attention de Bryn.

Elle ravala sa colère pour se concentrer. Enfin, son pied se posait en biais contre un relief, mais cet appui lui demandait un effort. Tant pis, ce serait suffisant pour dire à Bryn qui s'approchait d'elle :

"Je ne remonterai que si tu fais en sorte que Aedan et ses trois larbins rentrent au village... Perds pas de temps à venir ici, je me débrouille."

Une goutte perlait sur sa tempe, alors que ses yeux fauves, plantés dans ceux de Bryn, ne voulaient pas laisser de place à d'éventuelles négociations.

[Casaïr]

À la tête de Bryn il était évident qu'il n'approuvait pas le plan de Madenig, cependant il commença à remonter prudemment. Ils étaient presque à mi-chemin, des vagues furieuses léchaient la roche à seulement quelques mètres sous les pieds fermement accrochés de l'adulescente, les mains coupées de s'empêcher de tomber. Les embruns lui fouettaient le visage mais ce n'était plus aussi agréable qu'au sommet. C'est alors qu'elle sentit quelque chose agripper à son poignet. Un cri de surprise et de terreur pure plus tard, elle s'aperçut qu'il s'agissait d'une longue liane de lierre provenant de bien plus haut. Quand elle saisit le deuxième poignet, la liane commença à la remonter rapidement, obligeant la jeune femme à courir sur la paroi pour ne pas finir écorchée de partout.

Arrivée au sommet, pantelante, alors qu'elle s'apprêtait à demander ce qui se passait, elle aperçut le visage de Bremalen, le demorthèn du village. Lui qui était difficile à énerver semblait particulièrement mécontent.

"J'espère que toi, tu auras une meilleure explication que ces idiots-là", dit-il en tendant le doigt vers les cinq garçons.

[Madennig]

La surprise fut vive et mais aussi très douloureuse. Ses muscles qui furent tendus à l’extrême lui en faisaient payer son arrogance au prix fort, et maintenant qu'elle était face au demorthèn, elle ne pouvait même pas grimacer. Juste baisser les yeux et serrer les dents. Il était bien le seul homme du village devant lequel elle baissait le regard. Elle aurait surement du le remercier, mais à la place :

"Ça n'avait pas l'air si infaisable vu d'en haut."

Comme elle n'osait plus lever ses yeux encore plein de colère, elle se contenta de tourner le visage pour contempler l'humeur violente des vagues plus bas.

[Casaïr]

"Halala..."

Madenig ne regardait pas et ne pouvait voir la tête de Bremalen, mais le ton n'était guère encourageant.

"Vous cinq, rentrez au village, je m'assurerais que vos parents soient prévenus. Quant à toi..."

Un soupir fit relever la tête de la jeune fille. Elle put voir le demorthèn, l'air embêté alors que le groupe s'en allait en traînant la patte, non sans un dernier regard pour Madenig de la part de Bryn.

"Viens avec moi", dit-il simplement.

Il entraina Madenig à sa suite sans lui laisser le choix, allant jusqu'à lui donner de petits coups de son bâton dans les chevilles de la jeune fille lorsqu'elle faisait mine de rechigner. Si au début elle ne comprenait pas où ils allaient, elle finit par reconnaître le chemin menant à la maison du demorthèn. Une bonne vingtaine de minutes de marche furent nécessaires avant qu'enfin celle-ci apparaisse en vue, et encore une dizaine d'autre avant de l'atteindre. Il fallait pour cela partir un peu vers l'est et rejoindre un bras de rivière qui se jetait dans l'océan tout proche et dont l'amont traversait les marais.



Une fois à l'intérieur, Bremalen fit chauffer de l'eau avant d'ôter sa longue cape, tendit une serviette à Madenig pour qu'elle puisse se sécher tout en lui indiquant un tabouret près de la table. Il s'affaira quelques minutes et revint avec une théière fumant agréablement, quelques gâteaux à la cannelle dans une assiette de bois, une jarre d'eau, une miche de pain et un peu de fromage.

"Tu dois avoir faim après toutes ces émotions."

Il la regarda un instant avant de reprendre :

"J'ai discuté avec Clervie. Elle est très inquiète à ton sujet et je suis bien obligé de reconnaître qu'elle a raison."

Clervie. La dàmàthair qui avait pratiquement élevé Madenig. Au point d'en être devenue sa mère de substitution. Qu'attendait-il d'elle ?

[Madennig]

Malgré cette marche silencieuse, Madenig ne décolérait pas. Les coups de bâton venaient s'ajouter à la raideur de ses muscles pour l'asticoter. Et elle ronchonnait.
Une fois qu'elle comprit où il allait l'emmener, elle se renferma davantage, croisant les bras sur la poitrine. Elle prenait cet isolement des autres garçons comme une sorte de punition.

A l'intérieur, l'odeur des herbes l'apaisa un peu, lui rappelant la demeure de Clervie, mais ce fut de courte durée. Alors qu'elle se séchait les cheveux avec la serviette qu'il lui avait indiquée, elle le regarda apporter gâteaux, pain, fromage et infusions, avec un étonnement vif. Elle ne toucha rien de ce qui était posé sur la table, et fit une moue de refus. La colère de la jeune fille n'arrivait pas à s'éteindre. Et la gentillesse du Demorthen ne faisait que l'attiser davantage.

Il voulait peut être qu'elle parle, mais la seule chose qui voulait sortir pour le moment, c'était des larmes qu'elle retenait fermement. Ses joues étaient en feu.
Elle se vit tout lui jeter au visage, elle se vit hurler qu'il ne risquait pas de la comprendre puisqu'elle-même en était bien incapable. Mais elle culpabilisa aussitôt d'avoir de telles pensées...

Après quelques minutes de silence, elle finit par lui dire avec dureté :

"Je vais bien. Je veux juste m'amuser, y'a pas de mal à ça. Toi aussi quand tu étais jeune, tu as bien du faire des erreurs... Et bien, là, j'ai mal évalué les risques...C'est tout."

Elle prit un gâteau sans le manger, en se disant que ça ferait bonne impression, et qu'il la laisserait repartir ainsi.

[Casaïr]

"T'amuser ?" répliqua-t-il avec un sourcil haussé. Tu sais que ton comportement déteint sur tous les jeunes qui cherchent à te prendre en exemple ? Même Aedan -même si ça l'étoufferait de le reconnaître !"

Il regarda la jeune fille avec léger sourire énigmatique.

"Si ces défis étaient encore épisodiques, je ne m'en ferais pas, mais toutes les semaines j'entends parler de ça. J'aurai aimé ne pas utiliser cette carte, mais Clervie est venue me voir presque en pleurs. Elle est terrifiée à l'idée qu'un jour tu puisses te blesser et, si j'en crois ce que j'ai vu tout à l'heure, ses craintes étaient plus que justifiées. Tu aurais pu tomber et te tuer. Et tu as failli entraîner Bryn et Aedan dans ta chute. Ce dernier a d'ailleurs enfin montré qu'il avait plus de jugeote dans sa caboche que je ne l'imaginais."

"Tu seras bientôt adulte, tu vas partir d'ici quelques temps pour ton service d'ost, si tu ne te reprends pas, tu risques de passer une année particulièrement difficile."

Bremalen s'était montré piquant mais c'était son calme qui exaspérait davantage la jeune fille.

[Madennig]

Madenig fixait le gâteau niché entre ses mains, soutenir le regard calme de Bremalen aurait pu devenir un défi si il y avait eu un autre gamin pour le relever à cet instant. Mais sans aucun public, aucune saveur. Son cœur battait très fort, elle ne comprenait pas bien ce qu'il se passait en elle. Trop de sentiments contradictoires : fierté, tristesse, et dédain. En temps normal, dans un tel bouillonnement, elle serait sortie, et aurait couru jusqu'à ce que la fatigue lui permette d'arrêter de réfléchir. Mais là, impossible de fuir.

Elle se repassa les paroles du demorthèn, et lui répondit, en tentant de lisser son agressivité latente.

"Ce que tu veux... C'est que je me tienne tranquille jusqu'à mon service d'ost ?"

"... Bryn est costaud, il sait ce qu'il fait, il n'y va pas quand il sent que c'est compliqué... Aedan est... juste... "

Elle se ravisa juste à temps. Ce qu'elle allait dire n'était pas très brillant.

"...Dis plutôt à Aedan d'arrêter de me parler... Ce sera plus efficace."

"Je n'ai pas peur du service d'ost, je suis prête pour ça. Je ne ferai pas honte au village, tu peux me croire."