Peu importe où il était, c'était un refuge. Ici il avait pu recouvrer progressivement ses esprits. Il s'était rendu compte que des choses qui lui avait parue brillantes et évidentes n'étaient au mieux qu'absurdes ou chimériques, quand il ne les avait pas simplement oubliées. Longtemps son corps lui avait paru lourd et lent. Il avait été capable de passer des journées entières assis à ne pratiquement rien faire, sans même songer à s'ennuyer. Il était assis. Il en prenait conscience. Puis sa conscience s'évaporait. Et de nouveau une heure ou plus après, il s'étonnait de n'avoir pas bougé. Avant de se rendre compte qu'il était finalement bien assis.
Il était dans un refuge, quelque part, perdu dans la Forêt engloutie, mais contrairement à tout ce qu'il en avait vu jusqu'ici, c'était un lieu qui procurait un sentiment de sécurité. Il se sentait comme hors du monde, à l'abri. Il s'était promené sans guère y penser. C'était un château en pierre, une construction massive de plusieurs bâtiments, oubliée. Il manquait plusieurs toits, mais les rez-de-chaussée et sous-sol étaient encore en assez bon état. L'ensemble se trouvait à l'intérieur d'un cercle de pierre. Il ignorait qu'une telle chose fût existât. A quoi pensaient les demorthèn qui avaient enfermé ou protégé ce lieu ? C'était en tous cas très ancien.
En ces lieux ne vivait qu'une personne, une vieille femme qui ne parlait jamais. Elle semblait muette. Son corps, pour ce que Uilleam pouvait en voir, portait des traces de brûlures. Elle avait échappé à un incendie ou un bûcher. Elle cultivait un lopin de terre, pêchait, piégeait. Elle lui avait sauvé la vie en le nourrissant tout ce temps.

De cette période difficile à mesurer, Uilleam avait compris que le printemps était venu, puis que l'été approchait. Ses forces lui étaient revenues aussi et avec elles il avait reconstitué son parcours.
Il avait été un jeune officier sérieux, assez rigide, qui s'était mis quelques personnes à dos dans la capitale, Osta-Baille. Il avait été affecté à une forteresse qui n'était qu'une angarde perdue à la lisière du marais de la Forêt engloutie, dans un domaine d'importance apparemment anecdotique, à garder les moustiques. Alors encore plein de principes, il avait pris à coeur les disparitions dans le marais de pêcheurs et l'évocation irréelle d'une sorcière aux ours. Une sorte de folie collective s'était emparée du village de Swelbecky. Pour retrouver la sorcière, il était parti dans le marais avec l'essentiel de son groupe, laissant seulement Jazkez pour protéger et surveiller les événements au village. En fait, il l'avait laissé là parce que Jazkez était le seul à ne pas être emporté dans le même délire qu'eux et qu'il commençait à contester les ordres de manière exaspérante. C'était une punition et une facilité de le laisser en arrière.
Tout son groupe d'exploration s'était enfoncé dans la Forêt engloutie, sans bien savoir ce qui les guidait, des sortes de chimère, la silhouette de la sorcière ?
Ils étaient arrivés sur une île avec une ruine. Ils avaient trouvé la sorcière. En fait, non, ce n'était pas une sorcière, elle lui paraissait désormais une créature merveilleuse et fascinante. Il était subjugué. Ce fut alors que les Autres se manifestèrent. Ce qu'ils voulaient n'était pas clair, mais ils voulaient sa princesse, sa dame, sa merveille ! Alors il devait la protéger !
Qu'était-il arrivé à ses compagnons ? Ils étaient tombé dans un trou... ils semblaient morts ?... ou était-ce son esprit qui tentait de se dédouaner de les avoir abandonnés en imaginant leur décès ? ...
Lui et Elle avaient fui, mais avaient été rattrapés et emmenés. Où ? Il n'en n'était pas sûrs. Elle était importante pour eux. Ils avaient été dans un village, une nuit. Uilleam se rappelait l'ambiance irréelle de flambeaux révélant les clairs-obscurs d'ornements à base de crânes humains. Il ne voulait pas savoir quelle était la viande du festin cérémoniel qu'on leur servit. Il ne comprenait pas ce qu'on attendait de lui. Il comprenait qu'il avait dû être épargné pour avoir été une sorte d'animal domestique d'"Elle".
C'était un statut précaire et son instinct de survie l'avait poussé à s'échapper, sans savoir où aller.
Les c'maoghs lui avaient permis d'arriver là, dans le refuge.
Il lui semblait se rappeler qu'il avait été poursuivi, mais des feondas avaient sauvagement attaqué ses poursuivants. Avait-il été sauvé par des monstres après avoir été épargné par la sorcière qui avait causé la mort de ses compagnons ?
Uilleam reprenait conscience de sa vie, mais c'était la culpabilité et le désir de rédemption qui s'imposaient. Il se promenait encore seul, à rêver et cauchemarder de ses souvenirs, quand la présence d'oiseaux charognards attira son attention vers un rivage. En s'approchant, il poussa les bêtes à se reculer prudemment, mais elles restaient intéressée par leur possible repas. Il y avait un cadavre humain. Ce devait être un cadavre, avec ses trois flèches dans le dos et la cuisse. Pourtant, les charognards n'avaient pas encore commencé à manger, ils avaient hésité. Il devait rester un souffle de vie à l'inconnue couverte de limon et de sang.