Je note mes propres dépenses de volonté, t'inquiète pas.
Kolb lança à la journaliste un regard particulièrement réfrigérant et embraya de son mieux :
« N'allons pas trop vite, Mr Brun, puisque contrairement à ce qu'on nous avait indiqué, la situation a largement perdu de son urgence... Et il me semble nécessaire de vous expliquer en quoi : ma collègue et moi-même avons été distraits de nos propres tâches pour vérifier cette histoire de disparition, signalée par un renseignement anonyme et possiblement liée à une affaire beaucoup plus vaste. Si vous aviez pu nous confirmer les faits ou si un de vos employés immédiatement présents avait vu quelque chose qui nous renseigne, nous nous ferions un devoir de la traiter avec toute la diligence qu'elle requièrerait alors. Mais notre supposée disparue n'est pas dans vos registres, vous nous apprenez qu'elle pourrait parfaitement avoir voyagé anonymement en deuxième ou troisième classe et débarqué à Teskani parmi une multitude d'autres voyageurs, on ne vous a manifestement rien signalé d'étrange pour le soir du 4 septembre... et, pour ce que nous en savons, cette Miss "Feryel" pourrait aussi bien ne pas avoir besoin de notre aide, ni même exister du tout.
En l'état actuel des choses, nous n'avons donc aucune raisons valable pour déranger votre personnel pendant ses heures de repos, pas plus que nos autres tâches ne nous permettent d'attendre ici que vous les contactiez tous un par un pour les convoquer et que ceux que vous aurez pu joindre arrivent. Il n'est pas non plus question de nous lancer dans une longue série d'interrogatoires fastidieux pour déterminer si une jeune femme -dont l'existence est encore sujette à caution- aurait éventuellement été vue et aurait disparu il y a deux soirs...»
Kolb fit une pause pour jeter un regard insistant à Miss Stark, avant d'ajouter à l'intention apparente de Mr Burn : « Je suis tout à fait disposé à rendre service à mes éminents collègues du Profil, surtout s'il semble qu'une jeune femme soit en danger, mais cette afafire n'est pas officiellement la nôtre et, vérification faîte, puisque rien n'indique qu'un enlèvement ait été commis ici et que nous avons nous-mêmes nos propres investigations à mener, nous allons reprendre le cours prévu de notre travail et vous laisser au vôtre.
Parce que deux précautions valent mieux qu'une, nous tâcherons évidemment de revenir après 18h pour nous entretenir avec le personnel des quais, puisque il sera alors au complet et à son poste, et que nous-mêmes seront normalement libérés de nos autres obligations. Nous vous serions d'ailleurs reconnaissant d'avertir vos employés car nous irons directement les voir "en situation", l'expérience prouvant que c'est le meilleur moyen de se remémorer les choses. Mais dans l'intervalle nos devoirs à tous nous appellent ailleurs et si la moindre piste faisait effectivement surface ce soir, il serait toujours temps d'avertir le Profil qui conduira les interrogatoires de son choix avec son propre personnel.
Miss Stark et moi-même ne serons guère joignables aujourd'hui, si vous aviez besoin de signaler un renseignement quelconque au sujet de cette Miss Feryel, le mieux est encore que vous appeliez la police par le canal normal, en demandant l'inspecteur Kalya Adams du Profil. Avec nos excuses pour le dérangement et nos remerciements pour vos efforts, nous vous souhaitons une bonne journée, Mr Brun, et peut-être à ce soir.»
Kolb serra cordialement la main du superviseur, adressa un signe de tête à sa collègue, regarda ostensiblement sa montre, remis son chapeau et s'en fût en entraînant la journaliste derrière lui, sans plus dire un mot.
[A moins qu'on ne nous tombe dessus avant que nous ayons quitté la gare...]
Ce n'est qu'une fois rejointe la voiture, la portière ouverte à Lisa et lui-même installé à ses côtés qu'il expliqua, avec un effort manifeste pour ne pas s'emporter : « Miss Stark, j'apprécie votre enthousiasme
[il n'en avait pas l'air] et je suis prêt à examiner sérieusement votre... "piste onirique", mais il y a trois choses que vous devez bien comprendre, néanmoins.
Premièrement, ce genre de numéro de bluff ne peut jamais durer longtemps avant que quelqu'un d'un peu moins docile ou crédule finisse par demander à voir une carte de police ou une autorisation officielle, et c'est pourquoi il est essentiel en la matière d'aller vite, de miser sur l'urgence et d'être repartis avant que les soupçons ne s'élèvent.
Car, et ce sera mon deuxième point,
nous ne sommes justement pas la police ! Nous ne convoquons donc
pas quelques dizaines de personnes en dehors de leurs heures de service pour les passer au crible pendant des lustres au risque grandissant que l'une d'elles finissent par demander notre carte ! Spécialement quand il nous suffit de repasser ce soir pour les avoir tous au même endroit en même temps, prévenus et convaincus par leur chef de coopérer, à une heure qui va en plus nous permettre d'observer les environs tels que les aura découverts votre Feryel
si tant est qu'elle existe. Car si je rechigne déjà à nous faire trop remarquer avant d'y être obligés, c'est particulièrement vrai lorsque les chances de trouver quoique ce soit son aussi faibles qu'avec une éventuelle inconnue sans réservation dans un flot de voyageurs d'il y a deux jours ! »
Conscient (et peut-être gêné) de son énervement, Kolb démarra la voiture pour se donner une contenance, jeta un œil à la circulation avant de déboiter et, finalement, conclu : « ... Et troisièmement, quand à l'avenir nous nous lancerons ensemble dans une comédie dont vous ne connaissez pas le texte, je vous serez reconnaissant de vous garder d'improviser. Maintenant, moi, je vais aux archives : m'accompagnez-vous ou dois-je vous déposer quelque part ? »