[OdE Chap.7-3] Une auberge sans caille ni lièvre

[Madennig]

Madenig se faisait secouer par l'Osfer, mais son air brimé ne trompait personne. Elle jouait mal la comédie, surtout après quelques gorgées mousseuses.
Elle se leva et souleva ensuite la béquille surmontée d'une seul chope. Et sur un ton solennel :

"Posez vos chopes aussi... Puis la mienne ! L'honneur des Hilderins est en équilibre sur cette béquille... Honte à celui qui ne participera pas au défi lancé par l'Osfer Jazkez... Double honte à celle qui renversera une seul goutte par terre... Le parquet a déjà bien assez bu ces derniers jours..."

Elle attendit que chacun obtempère, malgré les réticences qu'ils pourraient avoir à abandonner quelques secondes leurs chopes.
Prudente, enfin, elle se mit en route pour rejoindre le bar et le tenancier de la taverne, d'un pas lent... Suspense.

[Madennig]

Madenig arriva finalement au bar sans encombre. Pas peu fière de sa prouesse, elle regarda ces messieurs avec un léger air supérieur surmonté d'un sourire vainqueur.
Puis, remettant les chopes une à une sur la béquille, elle amorça le chemin du retour, avec la même prudence et dextérité qu'à l'aller.
Sauf que... Voilà, c'était pas faute de lui avoir rabâché qu'il ne faut jamais vendre la peau du...
Oh ! Un chat vint se frotter au mollet d'un habitué installé au comptoir, au pelage aussi roux que la tignasse de Madenig justement. C'était drôle comme coïncidence...
D'autant qu'il finit par courir dans les pattes de la jeune hilderine qui perdit son équilibre et son assurance en même temps, alors qu'elle n'était plus qu'à 30 centimètres de réussir son défi !

Boum Patraboum !

Les chopes dégringolèrent sur la table de ces messieurs, déversant leur breuvage sur les pantalons et autres culottes de ces derniers.

De son coté de la scène, Madenig s'écrasa contre le sol, mais fort heureusement, la béquille toujours en mains !

[Casaïr]

Aeldred avait obtempéré bien malgré lui, l'épreuve d'équilibre lui ayant semblé bien risquée pour pas grand chose. Le trajet jusqu'au comptoir se passa bien mais les chopes étaient vides. C'était le retour qui promettait d'être plus compliqué et ça ne manqua pas : la jeune femme trébucha, s'étala de tout son long et renversa leurs bières sur la table, provoquant ainsi un raz de marée mousseux qui s'en alla rapidement recouvrir les vêtements des hommes toujours assis.

Le clerc se leva aussi rapidement que des pantalons soudainement trempés le permettaient en une telle situation pour aider Madenig à se relever.

"Tu ne crois pas qu'on a suffisamment pris la pluie la dernière fois ? Dit-il avec un sourire un peu contenu. Allez, donne-moi la main."

Il remit ainsi l'osfei sur ses pieds, préférant ignorer que ses habits presque neufs sentaient désormais le houblon.

[Pwyll]

La manche et les braies en partie imprégnées de cervoise, Pwyll gardait surtout en point de mire la réussite de la mission officielle.

Aeldred s'était levé pour jouer les galants, mais ces choppes devaient être acheminées coût que coûte !

"Nan mais attends, on recommence, en unissant les forces hilderines !"

Alors que Madenig se remettait debout avec l'aide du Clerc pas très clair, elle redécolla du sol alors que Pwyll la soulevait sans grande peine.

"Tiens la béquille et les chopes, et moi j'assure le trajet, travail d'équipe ! Hilderine ! 'Dred me r'garde pas comme ça, remets-y plutôt les chopes là-dessus, rends-toi utile par tous les C'maoghs en farandole..."

[Casaïr]

Aeldred regardait son ami, hésitant visiblement entre le rire et la peur.

"D'accord, dit-il lentement, conscient qu'avec Pwyll, une catastrophe pire encore pouvait se produire, mais évite d'écraser Madenig en tombant, une osfei réduite à l'état de crêpe, ça ferait mauvais genre."

Il s'exécuta donc, tout en se demandant s'il n'aurait pas mieux fait de refuser, pour l'amour propre du grand gaillard et de la jeune femme. Il décidait aussi de rester debout, de préférence juste à côté de la table. Une douche ambrée lui suffisait pour la soirée.

[Madennig]

Madenig aurait bien ri de sa malchance, si ce défi n'avait pas été donné par l'osfer lui-même. Difficile de savoir si c'était un jeu, ou une véritable épreuve... D'autant qu'elle était encore un peu sonnée. Heureusement Aeldred l'aida à se relever, car elle n'avait pas encore eu ce réflexe, toute prompte à chercher la cause de son échec avec un regard suspicieux.
A peine relevée qu'elle s'est alors sentie soulevée, légère, dans les bras de Pwyll qui visiblement avait très soif. Au moins, se dit-elle, ils pouvaient tous les quatre compter sur ce gosier sec pour motiver la réussite de cette mission. Béquille en mains et reconnaissante, elle sourit à Aeldred une dernière fois, alors qu'il remettait les chopes en place.

"C'est parti !" fit-elle joyeusement à Pwyll.

Au fond, elle était un peu pompette. Mais elle se concentra bien, encore plus que lors du premier essai. Et ça se voyait à ses sourcils froncés et à ses yeux braqués sur les chopes.

[Pwyll]

Le public retint son souffle.

Le spectacle qui s'offrait à la clientèle ébahie de l'établissement de Joavan tenait autant de l'épreuve mythique, d'un rite ancestral de passage que du ballet des enfants du premier cercle d'âge un après-midi de kermesse au village.

Le duo tournoya, louvoya et chaloupa, de devant, de derrière, de droite et de gauche.

Il y eut des "Oh" des "Aaah" des "Ouhlàlà" ! Les cuisses furent fermes et déliées. Les mains sures et la barbe volontaire.

Un pied botté frôla la tête de l'osfer qui se baissa pile au bon moment, l'attention attirée par un reflet sur le sol. Un daol coincé entre deux planches.

Les bières arrivèrent à destination. Pwyll, étincelant d'un large sourire, se rassit enfin sur sa chaise qui céda sous son poids. Il s'étala de tout son long en jurant.

Le point final qui lança l'assistance dans un tonnerre de rires et d'applaudissements.

Heureusement, Madenig, debout, pouvait saluer. L'honneur était sauf.

Peut-être que la prière muette adressée par Aeldred n'y était pas pour rien. Qui donc aurait pu le savoir ?

[Casaïr]

Aeldred regarda l'étrange ballet de ses amis avec des yeux ahuris, ne sachant s'il devait rire, applaudir, se protéger ou tout cela à la fois. Finalement les chopes atterrirent par miracle sur la table et avec leur contenu intact. Il se rendit compte qu'il s'était arrêté de respirer devant un tel suspense et relâcha sa garde. C'est à peu près à cet instant qu'un "CRACK !" terrible retentit. En rouvrant les yeux, il vit Pwyll, les quatre fers en l'air, battant des bras pour se redresser comme un poisson battrait des nageoires pour retourner dans l'eau. La salle qui avait suivit elle aussi le numéro de son costaud d'ami et la jeune osfei explosa d'un rire auquel se joignit le clerc.

Il fit le tour de la table, tenta de soulever son ami bien trop lourd pour lui et dût s'y reprendre à deux fois avant d'y parvenir.

"Bien, je peux désormais dire que, en plus d'avoir une dette envers Jazkez, tu en as maintenant une envers Joavan. Tu comptes devenir auxiliaire aubergiste en plus du reste ?"

Au moins, la pitrerie de Pwyll avait eu l'avantage de laisser fleurir un vrai sourire sur le visage de son ami, un sourire qu'il n'avait plus affiché depuis dix ans maintenant.

[Caeso Senjak Khan]

Jazkez avait observé Madennig avec curiosité. Son premier aller-retour quasiment sans faux pas a l'exception du dernier et l'intégralité de la cargaison fermenté précipité sur ses genoux et ceux d'Aeldred. Il avait faussement protester en se levant à moitié avant de se réinstaller en moquant la tenue détrempée d'Aeldred.

-Helaaa ! Notre saute-ruisseau est déjà tout ruisselant ! Il aura pas fallu longtemps !

Puis avisant le responsable en écarquillant les yeux.

-Ho ! Encore un sale matou dans nos pattes ! Vite ! Aeldred aux nippes ! Venge nous et assomme le de tes lumières !

Esquiver la seconde charge hilderine ne fut pas une mince affaire mais il se sortit encore une fois avec brio et plus riche de cette escapade. L'honneur des hilderins était sauf, ainsi que la béquille. Notre immaculé savant ne l'était plus, imbibé comme les autres bien que les registres variaient. Il fit un petit signe à Madennig et récupéra sa canne sur la table qu'il tendit à la jeune femme. Il garda un moment la main dessus le temps d'accrocher son regard puis relâcha.

-Va pour cette fois-ci, Osfei.

Le daol perdu trouva finalement son utilité dans les mains de Joavan et une chaise massive à l'essence odorante fit rapidement son apparition sur les lieux du crime ou gisaient encore les restes de sa frêle semblable.