[OdE Chap. 7-60] L'abbaye de Sainte Isold | 7h45

[Casaïr]

"Un râleur ?..."

Aeldred ne semblait pas comprendre cette description de lui-même qu'en faisait Pwyll même si la suite était finalement assez juste.

"Ce que veut dire PWyll, ma mère, c'est que nous essayons de lutter contre les feond qui hantent la Forêt Engloutie, la vieille route que nous avons dû empruntée pour venir jusqu'ici mais pas seulement : depuis quelques mois, les événements étranges se succèdent près de Terfynisel. Pwyll et moi avons déjà été témoins de plus de phénomènes surnaturels que la plupart des gens et nous cherchons des moyens pour les contrer efficacement. Peut-être certains des livres présents ici pourront nous y aider ?"

[Iris]

L'abbesse avait du mal à dissimuler que l'attitude de Pwyll à l'égard de l'élu la choquait. Elle se redonna contenance en allant boire sa tisane qui refroidissait et en s'asseyant à son bureau.

" J'ai du mal à saisir le fond de votre demande. Nos livres ont peu de chance d'évoquer la Forêt engloutie. Par ailleurs, les véritables spécialistes de la lutte contre les feondas et l'étrange sont les sigires. "

Elle prit du temps pour énoncer la suite :

" Avec l'accord d'un seigneur, un ou plusieurs sigires pourraient venir d'Expiation pour aider à résoudre les problèmes auxquels vous faites face."

" Les récits des vies de saint, et de la conversion de Gwidre comportent aussi des passages évoquant des périls de cette nature. Mais il faut être prudent. L'élection de l'Unique demeure fragile tant que l'on n'a pas fortifié sa foi. Les démons s'en prennent à ceux qui pourraient faire le bien, mais ne sont pas assez bien protégés encore contre leurs insinuations. Vous prenez de grands risques à vous confrontez au danger sans préparation."

[Casaïr]

"C'est vrai que nous sommes surtout armés de bonne volonté, admit Aeldred, c'est aussi pour cela que nous cherchons à en apprendre davantage sur ce mal. C'est vrai que je parle de la forêt engloutie mais c'est parce que c'est là que je vis, mon raisonnement serait tout aussi bien valable ailleurs."

"Je ne suis pas sûr que Dame Blodwen voit d'un bon œil l'arrivée de sigires dans son domaine, elle a déjà assez de soucis actuellement pour ne pas en rajouter, et vous savez comme moi à quel point les talkérides sont frileux vis-à-vis de l'Unique. Mais... S'il y avait un moyen pour moi d'apprendre à défendre ces terres, je veux bien m'en saisir. Blodwen accepterait certainement mieux que cela vienne de moi que d'un nouveau venu."

[Iris]

Gudela tarda à répondre, se tenant de manière moins expansive.

" Peut-être serait-il bon que je parle avec votre seigneuresse directement... mais quelles sont les difficultés auxquelles elle fait face, au point de refuser de l'aide face à une crise assez grave pour vous amener ici ? "

[Casaïr]

"Des difficultés de succession à vrai dire. Notre nouvelle seigneuresse a été nommée sur le lit de mort de son père mais sa belle-mère ne voit pas cela d'un bon œil. À force de mésentente, Dame Blodwen a fini par renvoyer sa belle-mère et celle-ci intente un procès pour tenter de récupérer ce qu'elle peut. C'est en réalité la présence de notre délégation à Llewellen. Pardonnez-moi de ne pas entrer dans les détails, à dire vrai nous étions surtout venus ici en quête de connaissance, pas pour que nos problèmes pèsent sur vous."

Il sentait qu'il était parti du mauvais pied avec Gudela et ne savait pas trop comment se rattraper.

[Iris]

" Dans ce cas, il suffira de lui parler après le règlement de ce problème qui l'accable. Je vais l'inviter à l'abbaye, il suffira de lui porter l'invitation : la date est à sa convenance."

Soucieuse, elle regarda les deux hommes un moment en silence, avant de tenter à nouveau :

" Je devine que vous n'avez pas l'habitude d'entendre les adeptes s'exprimer... et vous n'avez appris à lire que récemment. Peut-être certains vous échappent. J'essaie de vous dire que les connaissances... sont comme des cultures : il faut labourer, semer, entretenir, et seulement après récolter.

" Votre statut d'Elu rend nécessaire que vous ayez une compréhension approfondie des paroles de Soustraine pour être en mesure d'entendre pleinement Son message, et la mission qu'Il a pour vous. "

[Casaïr]

"C'est vrai que ma connaissance des écrits est, disons, très limitée, pour rester gentil. Fredelme avait commencé à m'enseigner cette partie après mon... retour et j'ai eu la sensation qu'il y avait énormément de choses à connaitre. C'est à la fois exaltant, un peu effrayant mais surtout très intéressant et j'aimerais beaucoup apprendre davantage, comprendre comment tout cela fonctionne."

"Je sais bien l'impression que je donne, reprit plus lentement Aeldred. Comme l'a fait remarquer Pwyll avec son tact habituel, je manque de confiance en moi, en partie parce que j'ai toujours cherché ma place au sein de ma communauté. Je ne sais pas si Fredelme l'a évoqué dans ses lettres mais j'ai perdu mes parents dans des circonstances tragiques il y a presque dix ans, sauf qu'au lieu de recevoir le support des villageois, ceux-ci m'ont évité comme la peste. Seule la dàmàthair de Terfynisel a bien voulu s'occuper de moi. Depuis, je cherche par tous les moyens à me rendre utile afin qu'ils reconnaissent ma valeur."

Échec complet à ce sujet, se dit sombrement le clerc, sans toutefois exprimer à haute voix sa pensée. Il se reprit cependant rapidement, la voix un peu plus assurée qu'auparavant.

"Depuis peu je suis devenu clerc auprès de Dame Blodwen et si je cherche toujours mes marques, j'aspire à l'aider dans sa tentative pour rendre la vie meilleure à Terfynisel. Et... Il est possible qu'apprendre auprès de vous puisse me donner certaines des clefs qui me manquent, en comprenant qui je suis maintenant."

[Iris]

"Beaucoup d'élus et de saints ont connu des épreuves terribles avant de recevoir la bénédiction de l'Unique."

" Peut-être testait-Il leur force d'âme, ou bien c'est justement celle-ci qui les a rendus sensibles à Son message ? Nous l'ignorons, mais le plus important, c'est qu'Il offre à l'humanité souffrante des guides pour affronter les périls de ce monde, la maladie, les démons et les sorciers. "

" Je peux vous dire que vous êtes ici le bienvenu dans la communauté de l'abbaye, nous ferons tout notre possible pour vous aider à grandir dans la lumière immaculée. Vous avez un don rare et précieux, vous êtes quelqu'un de spécial."

[Casaïr]

"Spécial, vraiment ?"

Aeldred rougissait. C'était bien la première fois qu'on lui disait cela. Pour la première fois peut-être, il tenait une chance d'évoluer selon ses propres désirs mais il ne pouvait occulter décemment le reste par pur caprice.

"Il faut que j'y réfléchisse, finit-il par dire. Cela fait à peine deux semaines que je suis clerc et j'ai promis à une amie de lui apprendre à lire. Je ne suis pas quelqu'un qui renie ses engagements bien que je sois parfaitement conscient de la chance que vous m'offrez. Et j'imagine qu'il faudra beaucoup de temps pour appréhender la parole de Soustraine. Quelles seraient les possibilités que vous entrevoyez ?"

[Pwyll]

Pwyll écoutait avec fierté. Il aurait pu être surpris, mais finalement, sans se l'avouer pleinement, il avait depuis longtemps compris que le retour d'Aeldred du pays des morts le marquait de façon particulière. Ils en avaient déjà parlé un peu. Les ombres qui l'avaient poursuivi étaient peut-être celles qui menaçaient au-delà de la protection de l'Arbre de Vie, dont une des racines était déjà rongée.

Outre le bien que cela ferait à Dred, il se demandait si l'association de leurs quêtes ne serait pas un aboutissement logique et une façon d'être enfin efficace en profondeur contre la corruption qui menaçait leur monde et ses habitants.

"Dred n'est pas du genre à se laisser corrompre ou dévier de son objectif. Avec vos enseignements, il deviendra un élu parmi les élus, j'vous le dis.