Plus que toutes autres piques, l'évocation de l'indifférence de son père finit de boucler les lèvres de Madenig. Sa gorge se serra si fort qu'elle vit des étoiles tournoyer, et quand il lui permit de partir en emportant le gâteau, ce fut aussitôt qu'elle se leva et se rua vers la sortie. Elle attendait, presque trépignant devant la porte avec une envie pressente, ses larmes perlaient déjà aux coins de ses yeux. La pichenette eu l'honneur de d'ouvrir les vannes. Elle n'entendait déjà plus rien... Il faudra certainement qu'il croise Clervie lui-même pour la saluer.
Elle ne sentait pas moins effrontée, juste quelque chose dans sa poitrine venait d'être écrasé, petit peu par petit peu jusqu'au grand final. Il était temps de prendre l'air, et de courir jusqu'à son refuge, son jardin secret.
Elle irait s'excuser plus tard auprès du demorthèn. Mais là, ce n'était plus du tout une option possible.
***
Son jardin secret était suspendu aux branches d'un chêne centenaire, noueux et accueillant, aux branches larges comme des banquettes. La saison lui avait permis de faire pousser son feuillage, une magnifique chevelure verte et dense, dans laquelle Madenig aimait se cacher. A ses racines, un édredon de fougères s'étalait pour mieux y cacher ses minuscules promesses de progénitures.
Elle avait pleuré durant sa course folle à travers les hautes herbes. Elle grimpa le long du tronc jusqu'à atteindre une branche oblique, pour finir de verser sa peine et sa colère, au creux de son ami végétal, toujours réconfortant.
Une heure était passée, et les derniers sanglots s'étaient tus.
Elle se surprit à espérer l'arrivée de Bryn. Parfois le jeune homme venait la chercher ici, mais elle ne lui permettait pas de monter dans l'arbre. Il l'avait appris à ses dépends. Alors il restait en bas, et ils discutaient, ainsi, de tout et de rien. Très souvent de rien. Et il finissait soit par repartir, soit par la réconcilier avec la vie du village. Dans ce dernier cas, ils rentraient ensemble à Salaïs.
Elle espérait de plus en plus souvent sa venue, ces derniers temps, sans se l'expliquer.
Sur son pantalon, une campanule bleue s'était accrochée. Elle la prit délicatement entre ses doigts et se mit à imaginer ce que les insectes pouvaient voir à l'intérieur quand ils y entraient. Peut être y avait-il un royaume aux démesures inattendues, enduit de pollen d'or et de cristaux de miel... A califourchon, elle s'allongea, le ventre contre la branche frémissante, laissa pendre ses longs cheveux roux et ferma les yeux pour mieux s'évader.