Ode - Chap. 9.1 - Un Choix de vie [Acte I]

[Cialf]

Je me demande où est Grirav. Est-il parti en reconnaissance ? Nos voyageurs ne vont-ils pas être effarouchés par notre collection d’hommes des bois silencieux et énigmatiques ? Sans parler du loup. Il faudrait quelque chose pour les mettre à l’aise…

Et si nous décorions nos caernides, puisque nous sommes le cortège de la mariée ? Je me lève pour proposer l’idée à Serah…

Quoique… Lockhyel est parti discuter avec Anaïs, et il n’avait pas l’air enthousiaste. S’il a de bonnes raisons pour refuser cette compagnie, l’arrangement ne se fera peut-être pas. Il vaut mieux attendre un peu.

[Iris]

Anaïs eut un bref sourire :

" Si l'on ne parle que de ce qui me convient, je n'aime pas les mariés de manière générale. Leur bonheur béat... me renvoie à ma propre vie."

" Je préfèrerai en outre que nous arrivions au plus tôt à Mùdan. La route est encore longue, chaque jour de gagné en début de trajet permettra peut-être de compenser les difficultés lors des passages plus difficiles."

" Je vois néanmoins que nous marchons avec une femme boiteuse qui ne m'apprécie guère, et une jeune fille dont la vocation de mercenaire doit surtout tenir à celle de sa soeur, et qui est très attachée à la sécurité. Je vois également que deux membres du groupe préfèrent dormir à la belle étoile que dans une grange... je soupçonne certains, qui ont veillé tard, d'avoir du mal à tenir un rythme convenable aujourd'hui. "

" Nos compagnons de route ont plus de respect et d'attachement pour vous que pour moi. Mon intention est d'arriver à bon port, et cela implique de ne pas épuiser mes gardes du corps ou de le monter contre moi."

" Votre avis, varigal ? "

[Gobsama]

Un discours franc et direct, une façon de résumer les informations sans prolonger inutilement la conversation, Lockhyel ne pût qu’apprécier la tournure que prenait l’échange.
C’est donc dans le même état d’esprit qu’il lui répondit :
Concernant Bécuma , puisque c’est ainsi que se nomme celle que vous désigner comme « la femme boiteuse qui ne vous apprécie pas » je me suis enquis de l’état de sa jambe hier , sachez que si elle a trouvé l’énergie d’aller danser après une journée de marche je pense qu’elle tiendra la distance si nous n’entreprenons pas une marche forcée. Elle n’en est pas à sa première mission d’escorte et si elle a survécu jusque-là c’est qu’elle est compétente dans son domaine. Il en va de même concernant Sérah que vous désignez sous le terme de « jeune fille dont la vocation de mercenaire doit surtout tenir à celle de sa sœur » , sachez qu’elle a effectué son service d’Ost et qu’elle a des talents qui pourraient vous surprendre. Ne les jugez pas sur les apparences, laissez les vous surprendre. La richesse de notre groupe réside dans la variété des talents qui le constitue.
Concernant les nuits, tant que cela ne met personne en danger et que chacun est opérationnel le lendemain, je pense que chacun peut dormir où cela lui plaît il me semble que vous parliez de Léorah et de Raen dans le cas présent.

Il avait bien pris soin de nommer chacun de ses compagnons de meute pour qu’Anaïs se rende compte qu’elle avait affaire à des personnes et pas à de vulgaires porteurs d’armes.
Nous allons passer presque un mois tous ensemble jour et nuit, je ne vous demande pas d’en faire vos meilleurs amis, mais apprendre à les connaitre rendra probablement votre voyage plus agréable.
Puis il enchaina, dirigeant la conversation directement sur ce qui pouvait être problématique sans agresser ni ménager Anaïs
Je vous l’ai déjà dit, nous ne sommes pas là pour vous juger. On ne peut pas empêcher les gens d’avoir une opinion, mais sachez que chacune des personnes qui compose votre escorte mettra sans hésiter sa vie en danger pour sauver la vôtre si cela devait être nécessaire. Mais rien ne vaut le fait de défendre quelqu’un qu’on apprécie. Faites un effort pour aller vers eux et dans ce cas ils ne vous défendront plus uniquement pour l’argent.
Voila pour l’avis du Varigal qui vous fait face et se nomme Lockhyel .
Lockhyel avait énoncé le fond de sa pensée de façon parfaitement transparente sans chercher à arranger la réalité. Il y avait une maladroite tentative d’humour dans ses derniers mots comme si le fait de refaire les présentations permettait de repartir à zéro.
Le varigal ne savait pas si Anaïs saisirait la perche tendue, mais le Varigal était au maximum de ce qu’il pouvait faire en matière de relation sociale pour tenter d’apaiser l’étrange ambiance qu’il y avait vis-à-vis d’Anaïs au sein de la meute depuis qu’elle les avait engagés.
Maintenant si vous préférez que nous fassions route rapidement et sans attendre, c’est ce que nous ferons. Je vais prévenir les autres.
Puis il se leva pour aller prévenir les autres.

[Iris]

Anaïs écouta le discours de Lockyel : "Vous vous donnez beaucoup de mal pour que le voyage se passe bien et que les uns et les autres puissent s'entendre. "

Et elle compléta avec un sourire : " Vous me paraissez bien plus "civilisé" que nombre de citadins s'estimant "subtils"... et plus "humain" que les sauvages que j'ai pu rencontrer et qui se prétendaient "authentiques". "

" Allons-y alors."

Le discret Grirav avait mangé tôt et préparé son équipement...

[Gobsama]

Alors qu’il se levait, Lockhyel s’arrêta pour écouter la réponse d’Anaïs et la vie sourire, chose qu’ il ne se souvenait pas l’avoir vu faire depuis leur première rencontre :

Sa réponse le fit également sourire et il répondit sur un ton rigolard :

« Civilisé et humain sont bien les derniers mots que je pensais pouvoir entendre associer à ma personne… »

Puis il partit rejoindre les autres pour organiser le départ.

[Iris]

Souvent le temps varie en Tri-Kazel, et la journée était à cette image : des nuages traversant le ciel rapidement, avec une alternance d'éclaircies chaudes et lumineuses, et de courtes averses, certaines légères, d'autres plus conséquentes. Les températures étaient globalement douces, mais quand le soleil se cachait et que des bourrasques frappaient les vêtements humides, il faisait assez frais, froid même par moment, à l'ombre.

Serah, toujours plus fragile que sa sœur, éternua à plusieurs reprises en frissonnant. De son côté Becuma sentait son genou tirer davantage tandis qu'ils progressaient sur un long "faux plat".

Le groupe avançait sur la Voie royale en construction. Des pierres cassées, des vestiges de travaux récents. La route allait pouvoir à terme faire circuler deux lourds chariots de front sur tout le trajet entre Kalvernach et Kember.

Léorah fut la première avec Raen à entendre des coups, métal contre pierre, des pioches. Bientôt Grirav et Lockyel perçurent également le bruit à mesure qu'ils se rapprochaient. Des chants les accompagnaient bientôt, et au détour d'un large tournant, montant une petite colline, ils découvrirent un groupe d'ouvriers. Il mêlait des hommes libres et d'autres portant des chaînes aux pieds, surveillés par un individu équipé d'un fouet qui supervisait l'avancée des travaux.

A la vue de Léorah et Serah, un forçat se redressa pour les siffler et lancer quelques invitations graveleuses, bientôt suivi par d'autres qui trouvaient là une pause bienvenue. Les plaisanteries et fantasmes sur les jumelles ne manquèrent pas. L'ensemble était vulgaire mais pas spécialement menaçant. Ils avaient de bonne têtes de brutes qui avaient dû se battre un peu trop et dont un seigneur, contraint de faire réaliser les travaux réclamés par le roi, avait décidé d'utiliser la force musculaire. Les forçats étaient en sueur et en haillons, mais ne semblait pas trop amaigris ou marqués des signes de mauvais traitements réguliers.

Il résulta de l'incident quelque claquements de fouets, essentiellement dans le vide, quelques imprécations, et le travail reprit, ne mettant pas tout à fait un terme aux œillades et autres signes à l'adresse des filles. Quant à Becuma et Anaïs, largement ignorées, elles ne bénéficièrent que de vagues remarques dépréciatives, relative à leur âge et leur mine revêche.

Les voyageurs passèrent la zone du chantier, sans regretter les chansons paillardes qui avaient été lancées en l'honneur des deux beautés.

...

En fin d'après-midi, la troupe arriva à un village qui était presque une zone industrielle. Outre la voie royale, un chemin fréquenté partait vers nord-ouest-ouest. Une pancarte en bois, peinte d'un nom signala que ce chemin allait vers "Promesse & Mines". Anaïs lut la mention à haute voix, peut-être parce qu'elle supposait que tous ne savaient pas lire. Le village où ils se trouvaient avait été baptisé "Camp"... tout simplement car c'était un camp bâti sommairement, avec des casernements en planches de bois où logeait apparemment une importante population d'ouvrier et forçats travaillant sur des infrastructures : voie royale, mais aussi route de Promesse.

...

Pendant tout ce temps Oeil de nuit n'était pas de l'humeur la plus amène... Les caernides et Mog en revanche étaient indifférents à l'ambiance.

...

" J'espère qu'il y a une auberge décente ici." soupira Anaïs qui contemplait le panorama : casernes, taverne de bric et de broc, maison close organisée autour d'une sorte de caravane, les "chambres" étant des chariots.

Après quelques questions, et des ribaudes faisant signe aux nouveaux venus, sans vraiment insister, ayant déjà assez de travail, Anaïs apprit qu'un tout petit peu plus loin se trouvait une ancienne auberge relai. On lui expliqua également qu'il n'y avait que l'embarras du choix pour trouver à manger et dormir, et moins cher qu'à l'auberge des Sapins noirs, mais (étrangement ?) elle préféra l'ancien établissement. Elle s'enquit des chambres disponibles et fut rassurée en apprenant qu'il y en avait suffisamment.

" Vous avez quartier libre. J'espère seulement que personne parmi vous est porté sur la boisson ou le jeu."

[Cialf]

Quand nous quittons l’auberge, sans mariée, sans cortège et sans fanfare, je me sens étrangement déçue. Je me reproche cette réaction enfantine… Oui, enfantine, c’est bien ce qui blesse. Les parades, le caernide décoré de feuillages, les joyeux hurlements, c’était une partie de ma vie. D’une autre vie qui ne reviendra plus. Du coup, c’est à peine si j’ouvre la bouche pendant la marche.

La déprime me fatigue plus encore que la marche, et je ne réagis guère quand nous arrivons au chantier. Il me surprend plutôt par son caractère ordinaire : pas de grosses machines, pas de techniciens magientistes bardés d’appareils, pas d’extracteurs de flux dévorant un arbre après l’autre. Les ouvriers ressemblent à ceux qu’on pourrait rencontrer sur les routes autour d’Osta-Baille. Curieux… J’aimerais leur lancer une blague pour leur dire que nous sommes du même monde, ceux qui empierrent la route et ceux qui la foulent, mais je me sens la tête vide comme un œuf gobé. Le ciel s’assombrit quand nous arrivons au prochain lieu habité. Je ne serai pas fâchée de dormir, et Serah non plus, il me semble.

[MeiYaw]

Suite à l'échange entre Lockhyel et Anaïs, le Varigal revient vers le groupe pour nous donner le départ. J'ai rassemblé mes affaires très rapidement : je n'avais quasiment rien utilisé.
C'est donc parmi les premiers du groupe que j'ai repris la marche, après avoir chargé notre caernide avec les nombreuses affaires de ma soeurette.

La route était agréable, tantôt chaude, tantôt fraîche, et la pluie ne me dérange pas. Je regarde le paysage et je profite des détails de la construction. Ce doit être un travail vraiment dur et pénible pour les hommes qui le font. Et puis une si longue route... ils ne doivent pas se voir avancer !

Ha tiens, il fallait bien que j'y pense, voilà que j'entends les travailleurs qui piochent... Et qui chantent !! Haaa l'entrain au travail, rien de tel ! Raen regarde dans la même direction que moi, il semblerait qu'on ait entendu le bruit des coups en même temps. J'aurais du y penser : des ouvriers, mais aussi des prisonniers qui paient leur dette à leur sueur. Une très bonne chose selon moi. Le travail occupe les esprits, et un homme occupé ne sera pas tenté de se battre !

En revanche, ils semblent apprécier le spectacle de notre passage... Ils nous regardent, je les balaie du regard, sans les fixer, et tout en marchant. Ce genre de réactions m'est connue, et ils ne semblent pas bien méchants, au final... De plus certains sont attachés. Je n'en laisse rien paraître sur mon visage, ni dans mon attitude, mais mes pensées se moquent gentiment de ces crapules : quel manque d'originalité, quel manque de finesse. Les hommes se conduisent de façon vraiment idiotes face aux femmes... Le fouet claque, les hommes font mine de reprendre le travail et notre caravane passe cette animation inattendue.

Nous arrivons à l'auberge et nous avons des chambres disponibles. Je souris à la remarque de Anaïs. Il est manifeste qu'elle ne connait pas ma façon de travailler. Jamais je ne me permettrais le moindre écart lors d'une mission.
Après avoir pris les chambres (*), et comme à mon habitude, je dépose mes affaires près de mon lit, et je vais installer notre caernide à l'étable. La pauvre bête semble soulagée à chaque fois que je lui retire une charge. Je vais ensuite me faire une bonne toilette pour me remettre de la route.

C'est dans la salle principale de l'auberge, que je retrouve les présents pour partager le dîner.

Je suppose que ce ne sont pas des chambres individuelles, mais un dortoir partagé ?

[Gobsama]

Lockhyel s’était légèrement tendu à l’approche des hommes sur le chantier, il avait entendu leur plaisanteries et ne les avait que modérément appréciés, mais les choses en étaient restées là et c’était très bien comme ça.
Il fronça le nez en arrivant à « Camp ». Non seulement l’odeur était loin d’être plaisante, mais le lieu se prêtait particulièrement aux ennuis …

Une foi à l’auberge, il s’occupa rapidement de Dursabot et laissa les autres gérer les histoires d’hébergement. Il se fichait pas mal de savoir qui dormirait avec qui.
Cherchant un endroit calme où il ne serait pas déranger, il s’isola avec Œil de Nuit pour lui changer les idées. Le loup avait broyé du noir toute la journée et cela avait forcément influé sur l’humeur du Varigal. Maintenant que la meute était à l’abri, le bien-être de son frère de meute passait devant tout le reste. Il s’assit dos au mur, jambes tendues et laissa le loup venir à lui.

[Rust]

Autrefois il aurait décoché quelques flèches sur ces "travailleurs" isolés. C'était à cause de gens comme ça que son village avait disparu.
Mais ça, c'était avant.
Maintenant, il ne voyait rien. Cette colonie de fourmis était grise sur la trame colorée qui passait devant ses yeux.
Une fois le risque écarté, il ne leur prêta plus aucune attention, préférant alors porter son regard là où des choses importantes pourraient se produire.

Quand ils arrivèrent aux Sapins Noirs, il n'en mena pas long avant d'aller se reposer. Il avait été particulièrement attentif aujourd'hui, malgré la nuit passée, et ses yeux avaient besoin de rester fermés.
Une de plus en moins. Et Gline qui se rapproche.