4.1 Aleth and...

[Iris]

Regardant partir Tristifer, Aleth se demandait comment gérer la fin de son rapport. Certes, les sujets principaux étaient passés, mais elle n'avait pas tout à fait terminé. Il ne faudrait pas qu'il se plaigne après de ne pas savoir !

En jeune fille bien éduquée, elle n'essaya pas de faire connaître son sentiment sur la question et écouta son père en silence, sans l'interrompre.

Elle n'était pas enchantée de se voir rappeler à quel monde elle appartenait, et si elle s'était sentie réellement libre d'exprimer le fond de sa pensée, elle aurait fait part de ses doutes quant à la valeur et l'honneur au sein de la noblesse, et à quel point, d'avoir rencontré des hors-la-loi et des marginaux, plus dignes de respect que des chevaliers et des Manteaux d'or, la faisait douter... de beaucoup trop de choses... Institutions, traditions, hiérarchie sociale... Quant à la thématique de sa vertu et de son apparence chaste et réservée... S'en entendre faire l'éloge lui donnait envie de faire précisément le contraire. A force de respecter des carcans moraux qui l'ennuyaient, elle se sentait devenir à leur image. Une statue dépourvue de vie, à la chair froide, hiératique, ... et aussi creuse que de fausses valeurs affirmées pour légitimer l'organisation sociale et politique. Elle ne disait rien, elle ne réagissait pas avec des sautes d'humeur comparables à celles de Tristifer, mais la fêlure n'en était pas moins là. Le lierre avait trouvé une faille dans la muraille, il poussait et s'insinuait, et à mesure qu'il grandirait, il risquait de menacer l'ensemble de la structure.

Dans cette humeur portée à douter si largement, elle préférait ne pas se projeter dans le futur, et imaginer un Jared ayant vingt ans de plus lui demander son avis. Elle n'arrivait même pas à se faire une idée de l'homme que deviendrait son cadet.

" Si je dois être tout à fait honnête, il est vrai que je n'ai pas paniqué et fait mon possible pour ne pas laisser paraître mes émotions, mais je ne peux pas prétendre ne pas avoir eu peur."

" Père, je vous demande l'autorisation de prendre des cours d'escrime auprès de Béric."

S'il n'acceptait pas maintenant, après le récit de deux rencontres avec des brigands, après s'être plaint du manque d'entraînement de Tristifer, jamais il ne donnerait son accord. En même temps, il lui rappelait quel était son rang et son monde... De quel côté penchait la balance ? ... Oui ? Non ? ... Peut-être ? Jamais de la vie ? ...

[DukeTogo]

Rhéomar sourit légerement et s'approcha de sa fille pour lui parler chaleureusement.

"Moi aussi, j'ai eu peur, et ta mère encore plus, en te voyant partir.
Il est normal de craindre, de douter.

Doutes de tout, Aleth, mais jamais de toi."

C'était sans doute le plus beau compliment que ne lui avait jamais fait son père qui ajouta ensuite dans un ton de confidence :

"Si nous montrons notre peur, les gens saurons que la frontière est ténue. Que ferais nos hommes s'il me voyait douter?"

Il se radossa, confiant qu'Aleth comprenait ce dont il parlait.

Il resta ensuite très calme à la demande martiale de sa fille.

"J'allais te demander ce que tu voulais. Pour toi. J'avais pensé à t'acheter un des coursiers de Dorne, mais ça..."

Il fit attendre Aleth un moment et répondit avec un sourire en coin : "C'est accordé." pause. "C'est moi qui vais le lui dire et nous verrons comment aménager ça."

[Iris]

Suspendue aux lèvres de son père dans l'attente de sa réponse, Aleth écoutait avec appréhension et étonnement, n'ayant pas le souvenir qu'il se soit jamais ouvert de la sorte auprès d'elle... pas plus qu'il n'avait jamais exprimé sa confiance en elle avec une telle force.

Père avait accepté ? Père avait accepté !

C'était un tel soulagement ! Elle l'avait espéré, mais sans vraiment oser croire en ce futur possible : "Merci Père." souffla-t-elle dans un sourire qui se retenait de rire.

Dommage pour le coursier de Dorne... tant pis, on ne pouvait pas tout avoir. Un instant, elle songea qu'elle ne coûtait pas bien cher aux caisses de la Maison : pas de rançon, pas de cadeau coûteux, une garde-robe sans extravagance... Enfin, si on se rangeait à son avis pour le Septuaire ou le dispensaire, l'équilibre se modifierait très vite.

"Il y a d'autres choses dont j'aurais aimé vous parler, au sujet de Waterford... mais j'ai encore à aborder plusieurs points relatifs à mon voyage à Trémière. "

Ce n'était pas la formulation la plus adroite, mais elle avait déjà évoqué avant de partir le fait de vouloir discuter de certains sujets, c'était une manière comme une autre de rappeler l'existence de ces thèmes.

" Parmi les sujets que je n'ai pas pu encore développer, il y a le détail sur la situation économique du domaine de la Trémière et la proposition de Lord Cendregué... La maison Bulwer... la maison Cuy... et Théobald..."

[DukeTogo]

"Ah?" lâcha Rhéomar avec une petite lassitude.

"Pour les chiffres, ton oncle est meilleur que moi. On a regardé le prix proposé par lord Hastwyck pour l'envoi de nos hommes pour quatre mois. C'est un bon prix. On s'est... un peu fâché avec Tristifer : il voulait négocier. Mais on ne spécule sur la nécessité des gens, et encore moins pour une maison amie. Kieran et Béric choisiront les hommes qui iront là-bas."

"Allez, je t'écoute."

Puis subodorant qu'il serait peut-être question de sujets qu'il n'affectionnait pas et peu désireux de faire envoyer chercher son frère, il demanda : "Dis-moi, avons-nous besoin du mestre pour continuer?"

[Iris]

Tristifer avait voulu ... négocier une offre comme celle de Lord Hastwyck ?!... Aleth était assez choquée... L'avidité de son oncle et son peu de scrupules la laissaient pantoise.

" Non, je pense qu'il n'est pas nécessaire de faire venir Mestre Corwyn..."

Voyant que son père commençait à se lasser, elle résuma un peu :

" Concernant la proposition de Lord Cendregué, je peux vous la détailler, mais en bref, il s'agit d'une sorte de location sur plusieurs décennies du village portuaire dépendant du domaine de la Trémière, dans le but d'en faire un port de commerce profitant aussi bien à Lord Hastwyck qu'à Lord Cendregué. Il pourrait être judicieux de réfléchir à des accords, des facilitations pour des marchands accrédités ... mais cela... Il serait plus sage d'en parler de manière spécifique et à part. J'entends par là que le sujet n'est pas urgent et qu'il déborde le cadre de ce rapport. Je pourrais voir avec Mestre Corwyn pour noter les éléments, et il sera toujours temps d'y réfléchir ensuite."

Puisqu'il était simplement question d'informer d'une alliance commerciale entre Lord Cendregué et Lord Hastwyck, Aleth estima qu'elle pouvait sans tarder passer au sujet suivant.

" Nous pouvons considérer la Maison Bulwer comme amicale. Je vous ai déjà parlé de Jack Bulwer, dit le Noir, recruteur de la Garde de Nuit. C'est une chance qu'il soit bien disposé à notre égard, car il est au courant de l'essentiel de la situation, ayant été témoin de toutes les révélations... Il avait été envoyé par sa sœur, Lady Alysane Bulwer, tant pour nous aider, que pour ... s'informer... ou espionner... selon la manière dont on tient à le voir. Il me l'a avoué à mi-mot après le sauvetage de Lady Alyse Hastwyck. Il a promis de passer à Waterford pour se pencher sur le cas de nos ruffians locaux. "

Si Aleth cherchait à garder un ton neutre et régulier, il n'en demeurait pas moins qu'il y avait un peu plus de chaleur dans sa voix et de lumière dans son regard à la mention de la venue de Jack Bulwer. Père lui avait, il y a peu, fait la morale sur la question, sur quoi elle étouffa tant bien que mal sa joie à l'idée de le revoir. Se rendant compte qu'elle oubliait le plus important d'un point de vue politique : "Lady Alysanne Bulwer est disposée à nous aider et à nous donner asile, à nous ou aux Hastwyck, si jamais la situation se dégradait au point de le nécessiter."

[DukeTogo]

"Lady Alysanne de Noircouronne... Et bien, voilà une noble proposition. Souhaitons qu'elle ne soit pas nécessaire... Nous n'allons pas prendre de risque et vite envoyer des hommes à Lord Hastwyck. Ce Bulwer qui vous a aidé sera bien reçu quand il viendra. Le Mur n'attire plus beaucoup de vocations, fut un temps ou les cadets des maisons allaient en grossir les rangs...."

Rhéomar se laissa aller à imaginer certaines choses et eut un sursaut comme s'il se réveillait ou devait vite oublier ce qui lui avait traversé l'esprit.

Tristifer dans la Garde de Nuit... Sur qu'ils me le renverrait...

Estimant que l'échange arrivait à son terme, Rhéomar se leva et regarda une dernière fois sa fille en souriant avant de sortir.
En fait, non, il fit demi-tour et prit à manger sur la grande table.

"J'ai le droit, non?" dit-il à Aleth en jetant un rapide coup d'oeil alentours. Tout seigneur et vétéran de guerre qu'il était, il ne voulait pas se faire vilipender par sa dame qui lui regardait le ventre quand il ne retenait pas sa gourmandise.

[Iris]

" Oh Père, un instant encore !"

" Théobald s'est illustré par sa vaillance au combat. Il a juré le silence et a su garder le secret avec une rigueur qui l'honore. Père, je ne saurais trop le recommander à être distingué par vous de la manière qui vous paraîtra adéquate."

Et très vite :

" Nous avons fait la connaissance de Ser Emmon Cuy, l'aîné de Lord Cuy de Sunhouse. Il a évoqué sa prochaine participation au tournoi de Lord Florent et a un peu sympathisé avec Béric, qui est également très désireux de pouvoir au moins y assister. Il a été plus ou moins convenu de nous revoir chez Lord Florent... Pour ma part j'ai surtout eu l'occasion de discuter avec Mestre Beren. Mais... Avons-nous reçu une invitation ?"

Cette fois c'était tout, et la discussion pouvait être close.

[DukeTogo]

Rhéomar s'arrêta bien sur, ne pouvant qu'approuver qu'un homme de sa maison se soit aussi bien comporté.

"Très bien! Oui, il sera récompensé, voir même promu s'il est capable de sortir du lot. Mais pas un mot à quiconque là-dessus."

"Quand au tournoi des Florent, nous n'avons pas de compétiteur réputé pour recevoir une telle invitation. Cependant, je sais par ma vieille guibole que Béric aimerait bien s'y distinguer. On le lui doit bien après tout, vous êtes tous là, en chair et en os. Donc, oui, on paiera pour sa participation. Et toi, jeune fille, tu pourras y aller. Les gens de Rubriant ont bien le droit de voir que ma fille est la plus belle de toute."

Le lord l'embrassa amoureusement sur le front avant de sortir... en reprenant encore un truc à grignoter.
Aleth savait très bien que la présence d'une maison à un événement de cette ampleur engendrait des frais. Nul doute que Tristifer aurait freiné des quatre fers. Mais l'argent de la maison n'était pas le sien. L'esprit d'Aleth fourmillait déjà d'idées, imaginait sa prochaine robe, le faste réputé de Rubriant, le fief des richissimes Florent.

Elle avait voyagé, pris la mer, vécu des aventures, convaincu son père de sa maturité et de sa capacité à affronter le monde. Du haut de sa petite taille, la fierté de son père la rendait radieuse. Aujourd'hui, même la grande tenture au fond de la salle semblait briller, orné de la devise de la maison qui était plus que jamais une évidence.

Quand elle sortit à son tour, elle eut l'impression d'avoir grandi et que tout les regards convergeait vers elle pour lui sourire.

[Iris]

Intermède ici : http://fim.pierstoval.com/viewtopic.php ... 549#p42529

Aleth trottina en direction de la bibliothèque qui serait débarrassée de l'encombrante présence d'un Tristifer d'humeur massacrante. Elle allait pouvoir discuter avec Corwyn... lever le voile du mystère quant aux paroles de Jack... Elle appréciait le Mestre en tant que tel, mais elle aurait menti si elle avait nié apprécier le fait qu'il soit toujours si attentionné à son égard... Une part d'elle-même se reprochait de trouver cela si agréable... car supposant qu'il pouvait être désespérément épris d'elle et en souffrir... Prendre plaisir à ce qui pouvait être le supplice de quelqu'un qu'elle voulait appeler "ami" n'était pas juste.

Sentiments emmêlés, elle entra au milieu d'une tempête de parchemins et feuillets. Mestre Corwyn se démenait avec peine pour les ramasser.

" Laissez-moi vous aider" dit-elle sans attendre pour venir l'aider... sans doute guère plus à l'aise en robe longue que lui en toile de bure... Mais elle était de bonne humeur et quelques pans de tissus ne lui feraient pas quitter cette disposition d'esprit.

" J'ai vu Tristifer partir pour les vignobles : je pense que vous aurez un peu de répit aujourd'hui." remarqua-t-elle avec légèreté. Elle avait le sourire malicieux de qui a toutes sortes d'histoires à raconter, incluant des brigands... et des questions sur la Garde de Nuit...

[DukeTogo]

"Oh... oh ne vous embêtez pas, c'est... c'est ma faute..."

Ce faisant, Corvin avait à moitié tenu la fine main d'Aleth pour la débarrasser des feuilles qu'elle avait déjà ramassés et la relâcha vite en reculant.

"Désolé, je ne... voulais pas... " et de ramasser les dernières feuilles au sol.

"Merci... merci beaucoup Aleth". Il sembla à Aleth que leur proximité sur le plancher de la bibliothèque chamboulait un peu le jeune mestre qui une fois debout posa sans ménagement l'ensemble des feuilles sur la table et referma dessus la couverture de cuir.

"La fenêtre... oui, la fenêtre, c'était imprudent." Il alla vers celle-ci pour la fermer et resta un moment face à celle-ci, tournant le dos à Aleth.