[OdE - Chap. 1] La Forêt engloutie

[Arthus]

L'intervention d'Aeldred donnait à Blodwen une belle opportunité de poursuivre de façon indirecte la conversation entamée avec le chevalier Uilleam, tout en donnant à son ami quelques explications sur la situation. Elle se tourna donc légèrement vers lui et dit :

En ce qui me concerne, je suis prête! Nous pouvons y aller quand vous voulez.

Après une courte pause, elle ajouta :

Je suppose que tu te demandes de quoi je parlais avec sire Uilleam... En fait, je pensais qu'une collaboration entre l'ordre des Hilderins et l'ordre Ronce pourrait être une formidable opportunité, non seulement pour les deux ordres, mais aussi pour la région toute entière. Mine de rien, les effectifs militaires de la région ont doublé, et chaque place forte est désormais gérée par une garnison qui pourra se concentrer exclusivement sur un lieu à défendre et à développer.

Si les deux ordres collaboraient activement et optimisaient leurs relations, elles pourraient se rendre mutuellement service, et la gestion de la région y gagnerait sûrement : les actions seraient coordonnées, et chaque garnison saurait pouvoir compter sur le renfort de l'autre en cas de besoin, qu'il soit d'ordre militaire ou logistique. Après tout, dix chevaliers valent mieux que cinq pour surveiller les routes, entretenir les garnisons ou repousser des attaques de bandits ou de féondas... Et comme la vocation historique des Ronces est de protéger les voyageurs et celle des Hilderins de lutter contre les féondas, je pense que les deux pourraient facilement trouver un terrain d'entente, tout en conservant leur indépendance mutuelle.

[Casaïr]

Aeldred hocha la tête, comprenant un peu mieux la situation. Il se tourna légèrement vers les hilderins afin de les jauger. Uilleam semblait avoir un intérêt pour la région, intérêt absolument pas partagé par ses hommes.

Bras croisé, son index tapotant légèrement son menton, geste caractéristique quand il réfléchissait intensément, il se demanda tout de même s'ils étaient bien venus pour cela. Les explications données par Uilleam étaient tout de même très floues. Finalement, il secoua la tête. Il lui manquait la finesse d'esprit de Blodwen ainsi que son expérience du monde extérieur pour juger efficacement de la situation. Interrogeant le commandant des chevaliers du regard, il lui redemanda :

"Messire, êtes-vous prêt à partir ?"

[Iris]

Les hilderins accompagnant Uilleam étaient résignés : un trou perdu, voilà tout ce qu'il y avait à dire de Terfynisel. Même le château était proche de la ruine par aspects, nécessitant des travaux pour avoir une allure convenable. Celui qui en hériterait à la mort (assurément proche) de l'actuel seigneur aurait du pain sur la planche.

Concernant la coopération hilderin - Ronces, il semblait pour l'instant que c'était déjà une bonne nouvelle que les deux se tolèrent. Pour ce qui était de travailler en bonne intelligence, ce n'était pas encore gagné. Avec le temps peut-être ? ...

Aeldred et Blodwen ouvraient la voie. Le chemin était tranquille, humide et sombre, alternant les abords d'étangs qui devenaient de petits marais en été, ou de bois épais d'épineux. Ponctuellement on passait à côté d'une ferme isolée ou d'un pâturage, mais en cette saison, on se préparait surtout pour l'hiver, et des lieux qui étaient riants quelques semaines plus tôt devenaient ternes, voire inquiétants.


Durant ce trajet Aeldred se rappela ce qu'il avait appris quelques mois plus tôt sur les Ronces affectés à Swelbecky. En fait, il connaissait même leurs noms...

[Casaïr]

Se remémorant les ragots appris à l'auberge de Joavan, Aeldred ne put réprimer un frisson. Le commandant Hafnir semblait quelqu'un de conciliant, mais ce ne serait peut-être pas le cas de ce Roparz. Et pour peu que celui-ci ait été recherché par les hilderins avant son entrée chez les Ronces...

Un signal d'alarme avait été actionné dans la tête du jeune chasseur et il était heureux d'ouvrir la marche, ainsi personne hormis Blodwen ne pouvait le voir transpirer à grosses gouttes. Il tenta tant bien que mal de se concentrer sur la route mais ses pensées vagabondes avaient fait des dégâts. Il jeta un regard en arrière afin de s'assurer de la distance qui les séparaient, lui et son amie, des hilderins. Il devait la prévenir sans éveiller les soupçons.

[Iris]

Aeldred était suffisamment en avant pour discuter à sa guise avec Blodwen. C'était une journée d'automne tranquille et les Hilderin ne prêtaient pas une attention particulière à leurs guides, appréciant simplement de ne pas avoir à se casser la tête pour parvenir à destination.

[Casaïr]

Rassuré sur ce point, il regarda droit devant lui pour surveiller la route et s'adressa à Blodwen en parlant doucement :

"Je viens de me rappeler de quelque chose qui pourrait s'avérer gênant si mon intuition s'avérait juste : il y a quelques mois, j'ai entendu des histoires sur l'un des Ronces se trouvant à Swelkecky, comme quoi ce serait un meurtrier qui aurait de justesse sauvé sa tête en s'engageant. Je ne peux pas attester de ces dires, mais s'ils ont un fond de vérité, nous devrions nous tenir sur nos gardes. J'espère aussi que les hilderins ne chercheront pas à régler de vieux comptes avec lui, si d'aventure son passé leur était rattaché. Je m'inquiète peut-être pour rien, mais je préfère être trop prudent que pas assez."

Il y avait aussi cette Cendre, mais il avait encore moins d'informations la concernant, il préféra donc ne pas en parler dans l'immédiat. En fait, la situation pouvait très vite mal tourner. Il regarda du coin de l’œil son amie afin de guetter une réaction de sa part.

[Iris]

Un merle se plaignait du passage des voyageurs dans son langage typique d'habitude réservé aux prédateurs.

Trriiilll... trriiiilll... triillll....

Le convoi poursuivait son chemin, impassible. Certains des hilderins à l'arrière discutaient autant que possible, plaisantant à voix basse, Uilleam ne semblant pas apprécier leur humour. Ils ne se réjouissaient pas de leur mission ici, mais ils étaient avant tout des soldats : être affectés aux endroits les plus improbables et ennuyants, faisait parti du métier.

[Arthus]

Blodwen prêta une oreille attentive à la mise en garde d'Aeldred, et confirma dans un murmure la sagesse de son propos :

"Je suppose que tu veux parler de Roparz...C'est effectivement un meurtrier, une histoire de vengeance... Il a été intégré à l'Ordre des Ronces juste avant d'être pendu, parce qu'il a fait appel à une ancienne règle qui est toujours respectée : tout condamné à mort a le droit de demander son intégration pour mourir en combattant les féondas plutôt qu'en se balançant au bout d'une corde. J'ai déjà eu l'occasion de le rencontrer, et le moins que l'on puisse dire est qu'il n'a pas un caractère facile. J'ai entendu que Cendres, son supérieur à Swelbecky, était plus ou moins parvenue à le gérer jusqu'ici, mais...

Blodwen poussa un long soupir, exprimant ainsi ce qu'elle pensait de la situation à venir, qui promettait d'être riche en situations tendues. Puis elle reprit :


...pour ne rien te cacher, c'est précisément une rixe avec des Hilderins à Osta-Baille qui lui a valu son affectation ici.

Je suggère donc que nous restions attentifs, sans nous impliquer directement afin de ne pas provoquer le malentendu que nous cherchons précisément à ne pas commettre. Au pire, si la situation se tend, nous pourrons toujours tenter d'apaiser les esprits, et surtout aller chercher le commandeur Hafnir pour qu'il règle le problème, qui serait de toute manière de son resso..."

Blodwen s'interrompit brutalement au milieu de sa phrase. Elle venait d'entendre le cri d'alarme du merle, ce qui réveilla de vieux réflexes inconscients en elle. Elle se souvint d'une autre époque, chargée d'angoisse, où de tels signes lui avaient permis d'échapper pendant un temps à ses poursuivants, avant que...

La jeune femme fut prise d'un frisson, et interdit à ses souvenirs d'aller plus loin. Alarmée, elle chuchota à Aeldred :

"Tu as entendu? Cet oiseau a sifflé une alarme... Alors soit ce chemin suffisamment peu fréquenté pour que la présence d'humains soit perçue comme inhabituelle et menaçante, soit..."

Elle laissa sa phrase en suspens, et scruta avec attention les alentours aussi bien pour détecter une éventuelle menace que pour repérer les options de fuite potentielles.

[Iris]

Blodwen s'était alarmée, et ce faisant avait ralenti voire arrêté son avancée. Les hilderins, réagirent à leur tour, aux aguets, les uns après les autres.

Après un moment le merle s'était calmé. On ne voyait ni n'entendait rien.

[Arthus]

Blodwen reprit lentement son avancée, en continuant de scruter les environs, de rechercher des traces au sol et d'écouter les bruits alentours, afin de détecter une éventuelle menace (ce qui serait sans doute rendu plus aisé maintenant que les Hilderins se faisaient plus silencieux eux aussi).