[Focus] Occulte (Aeldred)

[Casaïr]

Aeldred s'approcha doucement avant de s'asseoir à côté de celle qui était devenue, avec le temps, sa demi-sœur. Il lui sourit tout en sortant de son sac son acquisition du jour.

"Et voila ! Merci de m'avoir parlé de Joavan, bien que je ne sois pas particulièrement pressé de le revoir. Est-ce qu'il aime autre chose que l'argent ?"

Le jeune homme riait de bon cœur mais s'arrêta vite en voyant les enfants s'égailler autour d'eux.

"Je..."

Il avait soudain la gorge sèche, ne sachant plus trop bien ce qu'il voulait dire. Il regarda Rhea un instant avant de se raviser.

"Pourrai-je diner avec toi ce soir ? je crains de n'avoir été trop généreux avec cet aubergiste et je ne suis pas sûr d'avoir assez à manger pour moi ce soir. Je peux ramener quelques petites choses pour compléter, ne t'inquiètes pas ! c'est juste qu'il faut que je retourne chasser dès demain..."

Il se sentit piteux. Depuis quelques temps, il se sentait des élans étranges envers Rhea, des sentiments qui allaient au delà de l'amour que peut ressentir un frère envers sa sœur et il devait lutter chaque jour d'avantage pour les faire taire. Néanmoins il attendit patiemment la réponse de la dàmàthair et les battements de son cœur étaient presque paisibles.

[Iris]

Rhea accueillit sans peine Aeldred à dîner : "Gillian devrait arriver de Swelbecky ce soir je pense, nous mangerons tous ensemble ! Tu ne connais pas Gillian, c'est vrai ! Tu te rappelles que j'étais allée rendre visite aux dàmàthairs de Swelbecky..."

La première fois c'était l'été dernier, puis encore à l'automne, et au début du printemps, mais Rhea avait été assez discrète ?... en tous cas elle n'avait pas parlé de Gillian jusque là... D'ailleurs c'était un prénom qui pouvait être porté par des hommes ou des femmes... La réponse ne tarda pas :

" C'est le frère de la dàmàthair Alina. Un homme très sympathique, je suis sûre que tu l'aimerais !"

Était-ce si sûr ? ... et ce goût amer dans la bouche du chasseur ?.. Il allait sous peu être fixé...

[Casaïr]

Les dernières paroles, trop enthousiastes, de Rhea ressemblaient presque à la traditionnelle présentation du futur conjoint à la famille. Du moins, c'est ce qu'il imaginait. Son sourire s'était figé un bref instant pendant qu'il réfléchissait à toute allure à ce qu'il savait de Swelbecky, et hormis le fait que la vie là-bas y était tout aussi misérable qu'ici, rien ne lui revint immédiatement.

"Gillian ? Ma foi, cela promet d'être intéressant. Je..." il se mordit la lèvre avant de reprendre. "J'ai hâte d'être à ce soir. Je vais d'abord rentrer à la maison faire un brin de toilette, je me sens sale. Je te retrouve chez toi comme d'habitude ?"

Aeldred avait essayé d'être gentil et compréhensif mais il dut faire un effort énorme pour laisser le temps à Rhea de répondre avant de la quitter. En même temps, qu'est-ce que je croyais ? Je n'étais qu'un gamin pour elle, elle doit toujours me voir comme ça aujourd'hui...

Mais à la vérité, ce que ressentait véritablement le jeune homme, c'était la peur de perdre la seule personne qu'il aimait encore dans ce village repoussant...

[Iris]

Gillean arriva à Terfynisel en début de soirée, longuement guetté par Rhea. Il était accompagné d'un caernide chargé de marchandises et marchait en s'aidant d'un bâton. C'était un jeune homme avenant avec des cheveux bouclé d'un blond tirant sur le roux, quelques taches de rousseur sur la figure et des yeux bleu clair. Il irradiait la joie et celle qu'on pouvait supposer être sa fiancée était tout aussi ravie. En son honneur elle avait préparé une soupe d'anguille accompagnée d'une compote de fruits d'automnes et de boulettes de tubercules sapinières. Elle s'était donné du mal pour cuisiner un repas de fête.

Au cours de la discussion, on évoqua les nouvelles de la famille de Gillean, de Swelbecky en général, des anecdotes (nombreuses) liées aux enfants, et on évoqua à mi-mot, avec une certaine réserve, l'idée d'un mariage pour l'année prochaine, à l'équinoxe de printemps, comme c'était de tradition.

Certes les fiancés étaient très tournés les uns vers les autres, mais ils faisaient leur possible pour mettre Aeldred à l'aise, lui demander de ses nouvelles, quels étaient ses projets...

[Casaïr]

Aeldred tenta de faire honneur au repas préparé par Rhea, mais le cœur n'y était pas. Ho, en un sens il était content pour elle et du reste, mieux valait un autre que lui, ne serait-ce que pour sa réputation. Mais, un autre signifiait surtout que lui-même... Il essaya vainement de chasser ses idées noires mais le mal était fait. Il écoutait à peine ce que Rhea ou son prétendant lui disait, répondant de façon laconique au peu qu'il saisissait. Non, décidément, il ne se sentait pas du tout à sa place ici.

"Je suis désolé Rhea, mais je vais devoir rentrer chez moi, je me sens un peu malade. Je te... vous souhaite à tous les deux, beaucoup de bonheur"

Son excuse sonnait vraie dans le sens où il avait soudain envie de vomir. Il se leva plus vite qu'il n'aurait voulu, renversant son verre encore plein avant de sortir précipitamment dehors. Il avait envie de hurler, de frapper quelqu'un, n'importe qui lui permettant de se libérer du fardeau qui pesait maintenant sur ses épaules. Il rentra en courant chez lui, désorienté et en pleurs sans vraiment comprendre ce qui lui arrivait. Il ne savait même pas à qui raconter ce qui lui arrivait : sa seule confidente avait toujours été Rhea, jusqu'à aujourd'hui. Il rentra chez lui en trombe et, pris dans la tourmente de ses sentiments, ne se rendit pas compte qu'il mettait son propre logis à sac, et s'il n'avait pas trébuché au bon moment, il aurait sans doute tout détruit. A la place, il était couché par terre, en larmes et les mains en sang...

[Iris]

A son réveil Aeldred n'était sans doute pas au mieux de sa forme, mais quelque part, il se sentait moins mal.

De sa nuit il lui restait quelques souvenirs confus, l'image d'un cahier, des feuillets vierges et lui un crayon à la main... il se trouvait projeté dans une étendue blanche... ce devait être de la neige, ou du papier ?... ou les deux ? ... le sentier, ses traces, on aurait dit qu'il dessinait ou écrivait une histoire, mais il ne savait pas lire, et ne parvenait pas à déchiffrer... était-ce cela, un paysage enneigé ? pur comme l'innocence, vide comme l'ignorance... et tellement vaste, tellement libre, immense...


... il devait retrouver le vecteur Fredelme...


Le matériel d'écriture était tombé dans un coin, mais n'avait pas trop souffert de sa crise de rage.

[Casaïr]

L'esprit embrumé, il rassembla ses affaires et entreprit de faire son sac en y mettant son tout nouveau matériel d'écriture et sa gourde d'eau presque vide qu'il remplirait au puits du village -une fois n'est pas coutume, non ?

Il repensa à ce qui était arrivé la veille et à l'étrange rêve qu'il venait de faire mais il se rendit compte que l'incompréhension qu'il ressentait menaçait de le faire à nouveau sombrer dans la déprime, aussi décida-t-il de laisser cela pour un temps.

Il chercha du coin de l’œil son arc et son carquois et constata avec soulagement qu'il n'avait pas tout cassé dans sa maison, même si le désordre donnait l'impression qu'une tempête s'était abattue dessus. Une fois habillé et équipé, il se rendit au puits tout en évitant les habitants comme à son accoutumée, mais aussi la maison des dàmàthairs où se trouvait forcément Rhea. Elle doit m'en vouloir pour hier, et je la comprends parfaitement, j'ai été un imbécile complet...

Une fois sa soif apaisée et sa gourde pleine, Aeldred se mit en route tout aussi discrètement vers la forêt afin de trouver de quoi manger à la fois pour Fredelme comme il le lui avait promis et aussi pour son propre garde-manger. La chance lui sourit lorsqu'il abattit une belle poule d'eau et décida de poser ses collets ici, espérant de bonnes prises d'ici ce soir. Sinon, eh bien il pêcherait, cela le détendait toujours. Enfin, il prit la direction de la maison du vecteur sous un soleil nettement plus radieux que sa propre humeur.

[Iris]

Le chasseur Aeldred mit un peu de temps à arriver, entre son réveil difficile et sa recherche de nourriture.

Il arriva en haut de la pente de la colline sur laquelle le vecteur habitait pour découvrir de loin une scène inattendue : Rhea et Gillean en conversation avec le vecteur ! ... Mais le jeune couple n'avait pas vu Aeldred et était déjà en train de partir apparemment de bonne humeur.


... tout le contraire du chasseur...

... qui fut repéré par un agneau le regardant avec sa toison blanche et son air doux, tandis que sa mère l'appelait en bêlant...

[Casaïr]

Totalement désarçonné par ce qu'il voyait, Le jeune homme ne savait que faire. Lui qui avait tout fait pour les éviter depuis ce matin. L'ironie de l'histoire ne lui échappa guère. Il songea un instant à se cacher, mais à force de venir voir le vecteur, ses bêtes le connaissaient bien, preuve en est de l'agneau qui se dirigeait déjà vers lui. Quelle plaie...

Aeldred se dirigea doucement vers l'agneau dans l'intention de le ramener auprès de Fredelme. Après tout, puisque je suis là, autant crever l'abcès...

Il se rendit compte pendant qu'il flattait la tête de l'animal de l'état de ses mains, couvertes d'écorchures. Il savait qu'il aurait du mal à mentir à Rhea sur ce qui lui était arrivé. Se disant qu'il aviserait sur le moment, il se dirigea d'un pas peu assuré vers la maison du vecteur en compagnie de l'agneau qu'il dirigea doucement vers sa maman qui ne cessait de l'appeler.

"Tu as de la chance, tu sais ? Tu as une maman qui tient à toi, tu ne devrais pas t'éloigner comme ça..."

[Iris]

Par chance le chasseur à l'agneau dépité, aussi maladroit que le jeune animal en société, n'avait pas été vu par les amoureux trop occupés par rêves. Le vecteur plus terre à terre à force de veiller sur son troupeau (à défaut d'avoir suffisamment d'ouailles), se rendit compte de l'arrivée d'Aeldred et le salua d'un geste chaleureux :

" Bonjour ! Vous semblez à l'aise comme berger. L'Unique vous a-t-il guidé vers des lapins ou d'autres gibiers ? " fit-il en souriant.

Rhea et Gillean étaient déjà partis. Au moins un problème en moins. Peut-être l'avaient-ils finalement vus en suivant le sentier dont un des tournants donnait sur la grange, mais impossible à savoir sans regarder dans leur direction.