[OdE - Chap. 12.6] Ambition [FOCUS]

[Casaïr]

N'osant jeter ne serait-ce qu'un regard à la sauvette à l'intérieur, Oanell se résolut à tendre au maximum l'oreille, cherchant le meilleur compromis entre discrétion et écoute, ce qui représentait un véritable talent d'artiste que n'aurait sans doute pas renié Briaval -avant d'éclater de rire devant la position improbable de son apprentie.

Heureusement, le calme régnait autour d'elle, ce qui lui permettait d'entendre jusqu'aux raclements des pieds de chaises que l'on tirait pour s'asseoir. Elle sut ainsi qu'elle reconnaitrait facilement les différentes personnes actuellement présentes dans le bureau.

"J'espère que vous avez une bonne raison pour m'avoir ainsi "convoqué", Ogust", lâcha Brevaler, de la glace tombant de chaque mot qu'il proférait.

"Allons, allons, capitaine, ne me voyez pas comme un ennemi ! Tempérait le Hilderin. Nous sommes ici entre gens de bien, et nous œuvrons pour la même cause, à savoir l'extermination du feond que vous pourchassez depuis maintenant un certain temps... sans beaucoup de succès."

"Cette créature est plutôt maline, mais justement, puisque vous semblez vous enquérir de nos recherches, sachez que nous avons enfin localisé et que son élimination devrait avoir lieu très bientôt !"

"Eh bien voilà qui est parfait, parce qu'une fois fait, nous dirons tout deux aux habitants du village que ce sont mes chevaliers qui en seront venus à bout."

"Comment ?!..."

Un long silence glacial s'installa sans qu'Oanell n'en saisisse la raison. Toujours est-il que la situation durait et elle n'était pas bien certaine de la tournure des événements. Bientôt, ses oreilles saisirent plusieurs choses : froissement de papier, coup sur le bureau, nouveaux raclements sur le sol, puis quelqu'un faisant les cent pas.

"Votre rôle ici n'a... aucune espèce d'importance, lâcha Ogust sans aménité. Nous représentons l'autorité royale comme vous le savez, et ce que je vous ai montré atteste de la réalité de notre mission. Bien entendu, votre Rosace recevra une juste rétribution pour avoir aussi bien protégé les habitants, mais c'est à nous..."

"C'est à vous que revient le beau rôle", compléta Brevaler d'un ton sombre. "Très bien, nous resterons dans l'ombre, mais croyez bien que vous ne vous êtes pas fait beaucoup d'amis ici..."

Quelques instant de silence, puis la porte du bureau s'ouvrit et se referma sur un claquement sec. Le capitaine des Ronces s'en allait, visiblement irrité.

[NailsEater]

Soulagée de pouvoir bouger de cette position inconfortable et avec beaucoup de grain à moudre, elle se remit en route vers la rosace essayant de rester aussi discrète qu’auparavant.

Ainsi les chevalier hilderins voulaient avoir le rôle de héros tout en ne faisant rien. Cela n'étonnait pas la jeune femme venant d' Ogust. Elle ne l'aimait pas. Mais ... et le barde alors ... Ses yeux s’écarquillèrent. Chamboulée, elle avançait, ses pensées fusant. Mais, il n'était pas correct de ... et les gens ils ... Brrrrr
La jeune barde était énervée. Si peu de conscience professionnelle ! Même Briaval en avait plus que ça !

C'est les nerfs à vif qu'elle pénétra dans la rosace et se dirigea directement vers les dortoirs.

[Casaïr]

Deux jours passèrent après cette rencontre fatidique qui avait laissé Oanell dans tous ses états. Et c'est par une après-midi ensoleillée que l'annonce tomba : les chevaliers hilderins, menés par le seigneur Ogust, avaient terrassé l'horrible feond qui terrorisait la région. Une fête fut aussitôt organisée pour remercier les envoyés du roi qui, fort heureusement, ne comptait aucun mort ni blessé grave.

Pour l'occasion, Maugan permit aux recrues d'aller s'amuser aussi "mais en évitant de s'enivrer !" La garde de la nuit ne souffrirait pas d'un soldat saoul. La fête battit son plein jusque tard dans la nuit et l'on apprit que Samwell, le barde accompagnant les chevaliers, s'était même fendu d'une "chanson improvisée" pour l'occasion et contant la victoire de l'homme sur le Monstre.

Bien entendu, Oanell connaissait la vérité, même si elle ne pourrait sans doute jamais la révéler à quiconque ; qui écouterait une jeune ostienne, quelqu'un dont la voix pesait si peu par rapport à celle d'un capitaine Hilderin.

Au final, cet épisode resterait gravé à jamais dans l'esprit de la future barde : Qu'importe les exploits que vous pourriez réaliser, quelqu'un de plus important que vous pourrait en bénéficier à votre place...


--Fin--

[Casaïr]

15 Samhainn 907

« Le métier de barde, comme l’avait expliqué Briaval à Oanell au tout début de son apprentissage, est affaire de motivation, de connaissance, mais aussi d’influence. Vois-tu, plus tu es connue, plus tu te dois de connaitre de choses. C’est aussi un travail difficile, avec des revenus pouvant aller d’une vulgaire miche de pain à se partager les soirs de disette jusqu’à un séjour dans les meilleures auberges de la ville où tu te trouves. »

Alors que l’état de santé du maître devenait chaque jour plus préoccupant, la jeune femme ne pouvait s’empêcher de repenser à cette phrase. Les contrats et autres représentations que donnaient Briaval s’étaient considérablement raréfiés à mesure qu’il s’affaiblissait, et malgré cela, leur train de vie ne changeait que peu. La qualité des établissements avait certes diminué, mais pas au point d’en arriver à la fameuse miche de pain sous un porche insalubre. Et ce n’était pas les prestations d’Oanell, pourtant saluées par ceux qui y assistaient, qui permettaient cela. Il fallait bien se l’avouer, mais sans le réseau de Briaval, son inexpérience et n’ayant pas encore pu développer d’amitiés aussi solides que le maître barde, elle aurait mis bien plus de temps à récupérer certains cachets. Quoique même comme cela, ce n’était guère folichon.

« C’est encourageant, bien au contraire, répétait à l’envie Briaval, devant la moue dubitative de son élève. Bien peu de jeunes bardes ont comme toi eu l’occasion de rencontrer certaines personnes bien placées. Et, le moment venu, ils sauront se souvenir de toi, sois en certaine. »

Ce n’était cependant pas l’absence de revenus qui alarmait la jeune femme, mais bel et bien la santé défaillante de son ami. Il avait bien vu quelques médecins, affirmé qu’il irait vite mieux, que ce n’était que passager, elle n’était pas dupe : bien que toujours jovial, il sortait de moins en moins le soir, se fatiguait plus vite, se couchait plus tôt, se levait plus tard, sans pour autant avoir l’air reposé. Et pour couronner le tout, voilà qu’ils étaient, depuis quelques jours, à Koskan. Une ville qu’ils avaient toujours évité, à cause de sa réputation bien trop souvent méritée. Était-ce à cause de cela ? Toujours était-il que l’ambiance de la cité semblait malsaine à celle qui devait un jour prendre la succession de Briaval. L’approche de l’hiver, si cela était vraiment nécessaire, renforçait encore l’impression de se jeter dans la gueule du loup. Le regard des gens qu’elle croisait, surtout des gardes, lui semblait faux, et les yeux qui se posaient sur elle lui déplaisait fortement, comme si on cherchait à en déterminer le prix. Une ville où certains commerces illicites avaient pignon sur rue, telle avait toujours été la description que lui en avait donné son maître, et elle avait pu plusieurs fois déjà en mesurer toute la véracité. Elle savait déjà qu’elle en aurait encore des frissons dans le dos à l’avenir.

À cause de tout cela, et des convictions pourtant fortement ancrées en elle (et héritées de Briaval, nul doute là-dessus), il était d’autant plus difficile pour l’apprentie de comprendre ce qui les menait dans cette ville malfamée ; une discussion allait très certainement s’imposer, alors qu’ils logeaient dans l’une des bonnes auberges de la ville.

[NailsEater]

Oanell était descendu cherchait de quoi nourrir Briaval. Sa santé dépérissait à vue et la jeune apprentie ne savait quoi faire de plus pour l'aider. Cependant, elle avait beau s'inquiétait pour son mentor, il ne couperait pas à la conversation cette fois-ci. Elle montait les assiettes, faisant attention à ne pas se prendre les pieds dans sa robe et évitant du mieux qu'elle pouvait les regards des clients ...

Elle toqua à la porte avant d'entrer.

"Briaval ? C'est l'heure de manger. Je t'ai apporté le plat du jour ... C'est moins pire que ce qu'on a pu déjà manger, mais loin d'être ... hmm. M'enfin."

Elle s'assied à côté du barde. L'ayant aidé à se mettre assis, glissant un coussin dans son dos pour lui faciliter la tâche.

"Briaval ... on va rester combien de temps ici ?

Un regard en coin pour voir la réaction.

" Pourquoi est-on là ? On pourrait être n'importe où ailleurs et ... Je n'aime pas cet endroit."

Elle touillait sa soupe, la moue boudeuse, essayant de motiver Briaval à se confier à sa protégée.

[Casaïr]

Bien que souriant, Oanell ne put manquer la lassitude qui marquait désormais le visage de Briaval de nombreuses rides prématurées. En cet instant, il semblait plus vieux que son âge et elle prit peur. Se redressant, il lui prit la main, et la chaleur qu’elle ressentit à ce contact la calma un peu.

« Ne t’en fais pas, je ne compte pas m’attarder ici plus que nécessaire. J’ai un rendez-vous à honorer mais que j’ai dû repousser à demain. Il me faudra avaler cet infect fortifiant que ce charlatan m’a conseillé. « Vous vous sentirez mieux », qu’il disait. Ha ! Ce poison va m’achever, oui ! »

Il tenta de rire mais voyant que sa plaisanterie tombait à plat du côté de son apprentie, il se calma aussitôt.

« Je sais que nous avons connu mieux que cette situation, mais nous avons connu bien pire aussi. Il ne s’agit que de quelques documents à remettre à… des connaissances, mais quand ce sera fait, nous retournerons à Osta-Baille. Et tu pourras y retrouver tes amies, je sais qu’elles te manquent. Et ça fait toujours de l’animation à la maison ! Bon sang, je radote, on croirait entendre mon père. »

Cette fois, il arriva à décrocher un sourire à la jeune femme, même s’il ne fut que fugace.

[NailsEater]

Oanell désespérait de voir Briaval dans cet état. Elle n'arrivait plus à rire quand il essayait de la faire sourire.

"D'accord. Quand y allons-nous ? Et qui sont ces connaissances ? Dois-je me préparer ? J'ai ma robe bleue que je peux mettre si tu veux.

Elle posa son assiette avant de faire le tour vers la valise. Détaillant chacun de ses vêtements. Au plus vite, ils iraient au plus vite ils partiraient. Oanell réfléchissait aussi à un moyen de gagner un peu plus d'argent. Peut être que Noela pourrait l'aider, se sera bientot son anniversaire et Oanell savait qu'elle aimait l'entendre jouer de la lyre. De plus, personne ne refusait rien à Noela mais celle-ci ne refusait tien à Oanell.

[Casaïr]

Une ombre passa sur le visage de Briaval à l’évocation de la robe, fugace mais pourtant bien là. Pourtant, celle-ci mettait bien en valeur Oanell, alors pourquoi…

« Le rendez-vous est pour demain après-midi chez une notable de la ville, Sesilina. Elle n’est pas d’un abord facile, tu t’en rendras vite compte. Avec de la chance, ta présence l’adoucira un peu. »

Lui-même ne semblait guère convaincu de la chose mais n’ajouta rien de plus.

« Ho, pourras-tu vérifier la trousse à maquillage ? Il vaudrait mieux que j’évite d’effrayer les gens demain quand nous sortirons en voyant ma mine. Tu es devenue douée dans l’exercice, tu arriveras à me faire paraître plus vivant que je ne le suis. »

Il lui lança un clin d’œil qui rappela à jeune femme l’homme qu’avait toujours été Briaval, et un peu d’espoir revint se nicher dans son cœur.

[NailsEater]

Oanelle nota l'ombre qui traversa le visage de Briaval. Il agissait étrangement ces derniers jours et la jeune femme ne savait plus quoi en penser.

Sesilina ? C'est un jolie nom. Et qu'allons nous faire chez cette dame ?

« Ho, pourras-tu vérifier la trousse à maquillage ? Il vaudrait mieux que j’évite d’effrayer les gens demain quand nous sortirons en voyant ma mine. Tu es devenue douée dans l’exercice, tu arriveras à me faire paraître plus vivant que je ne le suis. »

Oanell gloussa, heureuse de retrouver un peu de son mentor chez l'homme qu'elle reconnaissait de moins en mois. Elle se dirigea vers la valise une fois de plus, sortant la trousse et commençant à faire l'inventaire. Certains pinceaux mériteraient d'être changer mais dans l'ensemble, depuis que s'était elle qui gérait les affaires le maquillage durait plus longtemps. Elle étala les tubes, boites, pinceaux sur la table, détaillant chacun des objets minutieusement.

"ça me semble pas mal. On devrait pouvoir faire quelque chose de toi. Et au pire ... je passerai devant pour pas trop leur faire peur !"

Sur ces mots, elle tira la langue au barde fière de ses petits moments de peste.

Et si tu crois que j'ai oublié la question tu te trompes. Alors, c'est qui cette charmante dame ?

[Casaïr]

« Charmante ?! »

Briaval éclata franchement de rire et dû se tenir au montant du lit pour ne pas tomber à la renverse. Essuyant une larme qui perlait, il attendit que les derniers hoquets ne passent et de reprendre son souffle avant de répondre à son élève.

« On voit que tu ne la connais pas, cette bougresse est pire qu’un serpent de mer ! Elle a démarré avec un simple mont-de-piété il y a bien vingt ans et maintenant c’est une femme riche. Et dangereuse. En y réfléchissant, je crois bien que jamais personne ne lui a dit qu’elle était charmante, fit-il avec une moue songeuse. Bref, ne te laisse pas attendrir, elle a un vaste réseau et se faire d’elle une ennemie est fortement déconseillé. Quant à ce qu’elle veut… »

Le vieux maître soupira un instant, se pinçant l’arête du nez.

« Disons qu’elle a eu besoin de mes services pour récupérer des documents dont elle avait besoin urgemment. C’est grâce à cela qu’on est pas complètement sur la paille d’ailleurs, avoua-t-il sobrement. Dès qu’elle sera satisfaite, nous pourrons partir de cette ville maudite. »