Aleth resta un moment silencieuse, à soupirer, penser, faire quelques pas énervée, s'immobiliser en tournant le dos à Walton, en lutte pour retrouver le contrôle de son souffle. Son cœur battant trop vite, elle peinait, se sentait oppressée de trop de laçages.
Enfin, elle parla avec un débit à peine freiné à force de volonté de ne pas se laisser complètement entraîner par ses émotions :
" Elle est en difficulté, mais rassurez-vous, elle ne le restera pas longtemps. Dans quelques minutes, elle gémira, les larmes de l'innocence coulant de ses beaux yeux, et elle expliquera qu'elle a le coeur brisé de la mort de Ser Kevan Manning, empoisonné après son duel judiciaire contre Ser Béric le Droit."
Walton se rappelait que les Castellane, sitôt arrivés à Port-Réal, avaient été publiquement accusés devant le roi, par Ser Kevan Manning, d'avoir ourdi le massacre de gens de la Maison Manning. La preuve en était un bouclier aux couleurs Castellane trouvé sur le site du crime. Pour se débarrasser de l'affaire, le roi avait ordonné un duel judiciaire entre Ser Béric le Droit et Ser Kevan Manning.
" Comme le pupille de la Maison Harte, qui a tué -- exécuté ? -- l'aîné des Manning pour permettre à Silva d'épouser Kevan, plus romantique, plus sensible, plus naïf, plus malléable. "
" Comme Thoros de Myrr, juge durant le tournoi de Rubriant, et touché par ses prières, au point de modifier les combinaisons des combats, dans le double but d'envoyer son époux et mon cousin Ser Darren Risley, au Mur. Pourquoi Darren ? Parce qu'il l'avait vexée. Elle ne savait pas alors qu'il était mon cousin, et a plaisanté en disant me préférer à elle. C'en était trop : il devait être puni."
" Comme en fait, tout le public du duel judiciaire, qui lui était acquis simplement par l'admiration sa gorge qui se soulevait avec émotion, le souffle court de l'épouse éprise, le cœur débordant d'un amour tellement authentique qu'il ne peut que frapper les témoins. "
En cet instant s'il y avait bien une émotion proche de déborder du corsage d'Aleth c'était l'indignation. Tous ses efforts pour contenir sa colère se limitaient à se retenir de ne pas tenter -- inutilement -- de frapper et briser des objets. Parce qu'une vraie lady ne fait pas ça. Parce qu'un lady ne crie pas, ne vocifère pas, ne parle jamais avec un mot plus haut que l'autre, et d'ailleurs qu'elle doit parler avec peu de mots. Parce qu'une lady se doit de garder contenance et dignité, et... à ce moment c'était difficile.
Aleth avait terminé ce qu'elle avait à dire sur Lady Silva, et mettait l'énergie qui lui restait à tenter de calmer sa respiration, en évitant la lumière des lanternes, tout comme d'exposer son visage animé d'émotions malvenues à son interlocuteur, enfin, plutôt au témoin de la scène.