[OdE Chap. 7-4] La reconnaissance du père I (Madenig)

[Casaïr]

"Arrête de me donner des ordres, putain !"

Aedan était en colère comme rarement, et celle-ci était démultipliée par l'enjeu. Il s'accrochait vaille que vaille à la jambe de Bryn, un pied sur un piton, sans se rendre compte de la dangerosité de ses actes. Madenig se déplaça pour dégager Bryn, allant jusqu'à décocher une droite à l'inconscient. Cependant, non seulement son coup ne porta pas mais, déséquilibrée, elle dérapa et chuta en hurlant.

"Madenig !"

Le cri de Bryn résonna jusqu'au sommet de la falaise, déconcentrant Aedan qui prit un méchant coup de talon dans le nez avant de tomber lui aussi. Fort heureusement, l'assurance de la corde, additionnée aux lianes grimpantes de Bremalen qui jaillirent à toute allure de la roche sauva les malheureux d'une chute mortelle près de dix mètres plus bas. Ils furent tous deux remontés prestement tandis que Bryn continuait son ascension, seul, blanc comme un linge.

Arrivés en haut, les jeunes gens se regardèrent, hébétés, jusqu'à ce que Bryn se jette sur Aedan et le roue de coups.

"Arrêtez enfin !"

Il fallut que trois garçons retiennent Bryn pour qu'il arrête mais les dégâts étaient là : Aedan avait le visage tuméfié, le nez éclaté tout comme la pommette droite. Il était vivant mais pleurait en silence.

"Bryn a gagné, lâcha le demorthèn sans la moindre trace de bonté dans la voix. Ce qui s'est passé aujourd'hui est une honte qui ne correspond pas à l'image que vous devez transmettre aux autres, surtout si vous intégrez l'ordre des hilderins ! Aedan, ta conduite est inqualifiable mais la correction que tu viens de subir était disproportionnée."
"Il a failli tous nous tuer !"
"J'étais là pour vous protéger !"

Bremalen était, sans doute pour la toute première fois depuis que les enfants le connaissaient, dans une colère noire.

"Vous deux, dit-il en désignant deux adolescents, relevez Aedan et conduisez-le chez moi. Madenig, raccompagne Bryn au village. Pas un mot de tout cela pour l'instant, je m'en occuperais personnellement."

Bryn était toujours dans une rage terrible, tremblant de partout et commença à s'éloigner d'un pas rapide du reste du groupe.

[Madennig]

Si Bryn tremblait encore, Madenig accusait le coup aussi. Elle s'était vu si lourde dans cette chute, sans pouvoir trouver de quoi se retenir, qu'elle en était encore sonnée.Une perte totale de contrôle sur fond de mort. Elle s'en voulait beaucoup plus qu'elle ne le laissait paraître, pour un tas de raisons confuses encore. C'est à peine si elle réagit quand Bryn s'abattit sur Aedan, tout semblait encore émoussé d'irréalité.

Aux injonctions du demorthèn, elle dut courir pour rattraper Bryn. Mais elle n'avait plus de force dans les jambes. Elle l'appela pour qu'il l'attende... Et enfin elle arriva à sa hauteur. Elle ne savait plus quoi dire. Des excuses ? Un commentaire sur Aedan ? Avouer que cette chute avait été grisante ? Elle se sentait vidée de toute énergie, même pour parler.
Elle l'arrêta seulement, quelques dizaines de mètres avant le village, pour essuyer avec un mouchoir le sang des mains de Bryn. Elle le regardait dans les yeux, et esquissa même un sourire admiratif.

Après tout, il avait gagné cette épreuve.

[Casaïr]

Bryn regardait Madenig nettoyer délicatement ses mains mais ne la laissa pas terminer. À la place, il la prit dans ses bras et la serra fort contre lui et tomba à genoux en l'entrainant à sa suite. Ses épaules tressautèrent et enfin, il se mit à pleurer. Il fallut un moment au jeune homme pour se calmer et desserrer son étreinte.

"C'est horrible, quand j'ai frappé Aedan, c'est mon père que je voyais. Et pendant que je le frappais, j'avais l'impression d'être devenu comme lui. J'aurais pu le tuer, j'ai failli le tuer..."

[Madennig]

Madenig le laissa pleurer, tout contre elle. Elle ne le lâchait pas. Patiente, telle qu'avait pu être Clervie avec elle, dans ses pires colères aux accès de tristesse. Puisqu'il était celui qu'elle aimait, elle devait être auprès de lui, quand il en montrait le besoin. Elle lui embrassa les cheveux... Puis il se confia. Et elle comprit sa peur.
Elle ne répondit pas tout de suite. Elle se remémora la scène d'abord. Toute la scène, pour mieux choisir ses mots.

"Je crois que ça n'a rien à voir, Bryn... Ce qui s'est passé était vraiment difficile. Je pense pas que ton père ait vécu un moment aussi éprouvant juste avant de vous frapper... "

"...J'aurais sûrement fait pareil. En fait, je voulais le frapper déjà sur la falaise quand il t'a attrapé le pied..."

"Finalement, peut être que Bremalen a raison. Etre engagé au sein de l'Ordre Hilderin sera une bonne chose pour nous deux. Je crois que j'ai cette violence en moi qui n'a pas sa place dans un village paisible, mais qui peut être une force en tant que soldat, pour défendre ceux qui ne peuvent le faire eux-mêmes..."

"...Tu ne seras jamais comme ton père, et si tu frappes un feond à mort, en imaginant en face que c'est ton père, dis-toi que ça sauvera certainement quelques vies."

Ils restèrent ainsi encore quelques minutes, loin des autres. Quelques minutes encore sans faux-semblants.
La clameur du village ne tarda pas à accueillir le vainqueur du jour, Bryn. Madenig bifurqua juste avant, pour rejoindre le chêne ami. Ce soir, Bryn pourrait savourer sa victoire tranquillement.

[Casaïr]

Le lendemain était une journée de repos qui fut finalement bien plus nécessaire que prévu : elle devait permettre à Bremalen d'expliquer le geste d'Aedan et donc sa disqualification pour la suite du tournoi. Préférant cacher au reste du village la correction que l'adolescent avait reçue, il dit simplement qu'il le gardait chez lui en punition, afin de lui apprendre à respecter les autres, et qu'il le garderait jusqu'à ce qu'il comprenne. Les jeunes qui avaient assisté la veille à la raclée administrée par Bryn évitaient d'en parler quand les adultes étaient dans les parages mais tous étaient d'accord sur un point : Aedan avait été bien trop loin et avait pleinement mérité son sort. Madenig se rendit compte alors d'un étrange phénomène : jusqu'alors, les garçons s'étaient toujours défiés d'elle, prenant son caractère combatif pour de la supériorité mal placée. Désormais ils la considéraient autrement tandis qu'Aedan était déclaré persona non grata. Les autres membres de sa bande étaient d'accord avec cela et vinrent même, à la surprise de l'adolescente, s'excuser de leur comportement envers elle.

Bryn lui ne s'amusait pas. S'il était en meilleure forme que la veille, la flamme qui l'animait habituellement s'était brutalement éteinte. Les autres enfants tentèrent bien de le dérider mais rien n'y faisait, il restait seul près de la maison de Clervie. Il n'acceptait que la présence de Madenig mais n'arrivait pas à parler. Ce n'est qu'en toute fin de soirée qu'il s'autorisa à prendre sa petite amie dans ses bras et à l'embrasser. Ce baiser avait goût de sel mais permit à Bryn de retrouver un petit sourire.

"Demain, dit-il doucement. Je vais te battre. Tu n'as jamais été douée pour viser de toutes façons."

Cette pique timide éclaira un peu plus son visage et il embrassa de nouveau la jeune femme, avec plus d'assurance cette fois. Il la prit longuement dans ses bras avant de lui dire au revoir et de rentrer chez lui.

***

Cette nouvelle journée s'ouvrait sur le champ de tir nouvellement installé au nord de Salaïs pour l'occasion. Les concurrents n'étaient plus que neuf et, à bien les regarder, ils étaient loin d'être tous égaux dans le maniement d'un arc. La cible n'était guère loin, dix mètres pour le premier tour, puis l'on reculait les cibles de cinq mètres en cinq mètres jusqu'à ce qu'il n'y ait plus qu'un seul vainqueur.

Bryn s'avança le premier, plus sûr de lui que la veille, armé de son arc, une flèche à empennage noire entre les doigts. Tout le village observait, muet, jusqu'à ce qu'il décoche son tir. Celui-ci rata de peu le centre mais pour ce premier tour, toucher la cible suffisait. Ainsi trois autres garçons parvinrent à se qualifier avant que ce ne soit le tour de Madenig.

[Madennig]

Madenig rentra chez son père après que Bryn l'ait quittée la veille. Elle s'amusa avec ses petits frères, et avant qu'ils ne s'endorment, elle leur raconta qu'elle avait pu monter sur les ailes d'un cormoran d'envergure gigantesque et qu'il l'avait fait voler pendant une heure au dessus d'une mer aux rouleaux dévastateurs. L'un d'eux lui demanda si c'était bien la vérité, et elle répondit qu'en tout cas, c'est ce dont elle se souvenait...
Quand elle rejoint son lit, elle s'imagina encore tomber de cette falaise, rattrapée de justesse par Bremalen, et en rêva une partie de la nuit. Son corps avait besoin de repos, une journée n'avait pas suffi. Et la mine sombre de Bryn ne l'avait que peu égayée. Aedan écarté du tournoi, l'issue n'en était que plus certaine. Pourtant, quelque chose l'inquiétait, malgré les excuses des autres gamins de Salaïs...

Quand elle se posta devant la cible à atteindre, l'arc en main, elle n'avait toujours pas pu mettre le doigt sur les causes de son inquiétude. Comme si cette dernière jouait à cache-cache avec sa conscience.
Elle banda son arc, repensa à la remarque de Bryn, ce qui la fit sourire, elle ferma les yeux, souffla, visa, et tira.

[Casaïr]

Un peu grâce à la remarque de Bryn, Madenig avait suffisamment pu se détendre au moment de tirer. Certes elle n'avait pas la grâce ni la précision de son petit ami dans cette discipline mais elle s'en sortit honorablement, passant le premier tour de justesse. Ils ne furent que cinq à atteindre le second tour, les autres concurrents ayant soit tiré trop court soit bien à côté, Cerdan ayant même réussi à casser la corde de son arc, s'attirant les railleries des autres.

Le second tour fut nettement plus tendu : reculer la cible de cinq mètres était énorme pour des jeunes qui n'avaient encore que peu d'expérience dans ce domaine. Bryn atteignit la cible de justesse tandis que Madenig, à la surprise générale, la touchait également. Il fallut cependant un troisième passage pour désigner Bryn comme vainqueur de l'épreuve, ce qui lui redonna aussi le moral. L'épreuve ayant eu lieu finalement assez tôt, il fut décidé que les combats à l'épée auraient lieu en début d'après-midi et que le cinquième jour célébrerait le vainqueur du tournoi.

Madenig fut rejointe par Bryn qui la souleva de terre devant tout le monde, provoquant quelques rires appréciateurs.

"Je te l'avais dit, non ?"

Il la reposa finalement pour l'embrasser. Les jeunes gens avaient trois bonnes heures avant que la dernière épreuve ne commence.

[Madennig]

Elle avait jeté son arc de colère en bonne mauvaise perdante, ratant sa cible au troisième tir. Son air ronchon ne résista pas au porté de Bryn qui la fit voler, un peu comme le cormoran. Et lorsqu'il la reposa, il lui sembla qu'il était doté d'une envergure immense. Le baiser la prit de court. D'abord, elle se tendit, voulant lui rappeler qu'il y avait des spectateurs. Puis, une fois qu'elle eut goûté à sa bouche, tout cela lui parut bien secondaire.
Il avait un point d'avance... Devait-elle le fatiguer avant l'épreuve suivante ? Cette passionnante idée lui traversa la tête.
Elle lui souffla à l'oreille, après un doux ronronnement : "File loin de moi, avant que je ne t'épuise au point que l'épée soit trop lourde pour toi... Reste avec moi : tu perdras, mais tu te sentiras bien et détendu... "

Elle lui laissait le choix. C'était quand même plus sportif !

[Casaïr]

Bryn avait retrouvé le sourire. Il prit la main de Madenig dans la sienne avant de l'entrainer loin de là, sous les applaudissements de la foule qui n'était pas contre cette fin d'épreuve. Ils étaient tous deux rouges jusqu'aux oreilles avant d'arriver jusqu'à l'étable du vieux Tom. Très rapidement ils oublièrent que le monde existait et s'enivrèrent du parfum de l'autre.

***

Les deux tourtereaux arrivèrent peu avant la reprise des épreuves sous le regard concupiscent de Clervie, ce qui dérangea quelque peu la jeune fille. Elle fut d'ailleurs heureuse d'arriver aussi tard sinon la dàmàthair l'aurait bombardé de questions, à se demander laquelle des deux était la plus jeune !

"Mes chers enfants, dit Bremalen, voici la dernière épreuve, celle du combat armé. Vous serez armés d'épées de bois et de boucliers pour ceux -ou celle- d'entre vous qui savent s'en servir. Vous aurez également des protections matelassées car il n'est pas question d'envoyer une recrue estropiée chez les hilderins, ça ne ferait pas très sérieux. Cependant, vous êtes neuf, ce qui ne permet pas de faire des tours équilibrés. Aussi aie-je décidé de récompenser les efforts de Bryn en lui permettant de rejoindre la compétition un peu plus tard, afin d'affronter le vainqueur du tout premier combat. allez vous préparer !"

[Madennig]

Madenig n'osait plus regarder la foule, encore un peu perturbée par ce qui se passait en ce moment. Les regards de Clervie, mais aussi les excuses des enfants, tout comme ce demorthèn à qui elle en voulait tout autant qu'elle aurait aimé mieux le connaitre. Elle en venait à se demander si elle voulait vraiment partir de Salaïs à présent que l'ensemble de ses problèmes commençaient à s'estomper.
Elle choisit son épée, elle était déjà assez lourde, elle ne s'encombrerait pas d'un bouclier ou d'une autre épée. Puis, elle s'enroula dans une tenue matelassée, tout comme les autres participants, attendant de savoir ce qui se passerait ensuite, et comment seraient disqualifiés les perdants.