Oui, oui, oui ! C’était ça ! Au diable les lions affamés, les taupes-chenilles-garous et tous ces ogres bas du front à kilt en mohair ! C’était l’heure des cris de joie et des sourires, des délires dans la foule et des ruées rayonnantes de liesse ! Au diable les fonctionnaires de la caisse des donjons grincheux, au diable les scribouillards à la petite semelle et toutes les mégères assises sur leur siège un caniche moche à la main ! C’était désormais fête sur les corps sanguinolents, qu’on ramasse les pièces jetées dans les rigoles pleines de cervelles ! Au large, infamie, place au héros !
Spartacos exultait. De toute évidence, son entrée remportait le succès escompté. C’était une de ces entrées dont il avait le secret, du genre de celle qui soulevait une ovation délirante dans le public et qui donnait droit à une deuxième ration de soupe dans les cellules le soir. Son impeccable sourire découpé de plus belle sur son visage, il étincelait devant ses nouveaux compagnons d’armes. Dame Justice était à coup sûr avec lui ce soir, le gladiateur pouvait d’ors-et-déjà sentir le parfum des tranches de saucisson divin se poser dans le bol cosmique de son existence.
Alors qu’il s’imaginait au banquet d’Adathie, Spartacos nota que ses nouveaux frères d’armes venaient de lui adresser la parole. Redescendant de son nuage, il tendit l’oreille aux mots qui s’amoncelaient dans ses tympans obtus :
Le Nain caparaçonné a écrit : " … ça fait encore une part en plus à répartir, et là ça commence à faire beaucoup. En plus t'étais pas là quand on a eu la mission, donc d'office on doit amputer ta part de 15% à répartir au prorata des actions effectuées pendant la mission, en prenant en compte l'usure du matériel, l'efficacité au combat, le nombre de kilomètres parcouru... Bref, c'est technique, mais je veux bien vous soulager des calculs compliqués, moyennant une augmentation de 15% de ma propre part sur le butin et la récompense de la mission"
L’espace d’un instant, Spartacos en fut décontenancé. Sous sa chevelure blond platine, une bataille s’engagea dans le flot de sa conscience limitée. Une bataille féroce, où il était question d’un gladiateur s’en allant affronter seul une horde de Mozinkonnus, des monstres sans pitiés qui laissaient l’esprit en charpie après leur passage. La lutte trop inégale fut brève. Les horreurs lexicales mirent en pièce notre valeureux combattant, le laissant vaincu dans un océan d’incompréhension brutale. Aux abois, son esprit réussi la seule pirouette qui lui était possible : ce baratin, c’était sûrement une blague, un bizutage pour les bleus, comme lorsque lui et ses collègues glissaient une tranche de rôti au miel dans le slip des nouveaux avant leur passage contre les fourmis-griffons.
Son sourire de nouveau assuré, il darda un regard joyeux vers le nain bourru :
- Haha, félicitations pour ces mots, maître nain, j’ai failli marcher! Je reconnais bien là l’humour des fiers combattants des mines !
Sans s’attarder d’avantage sur ce qu’il prenait pour compris, Spartacos se concentra sur les autres membres du groupe. L’elfe noire qui s’avançait vers lui d’une démarche féline lui remettait vivement en tête combien la réputation de beauté des elfes était méritée. Son goût vestimentaire, en revanche, lassait matière à améliorer : jamais on ne captivait un public avec de tels habits. Il devrait très vite lui expliquer combien les plaques rutilantes et l’huile de lin pouvait aider les formes naturelle à rayonner comme il se devait. Et par Adathie, quand on était ainsi équipée de telles formes, elles se devaient de rayonner, car ce n’était que Justice !
Chery, l’elfe noire emo-guicheuse a écrit :- Voici le reste de la troupe. Et ... la place de chef de groupe est ... disponible, si jamais ...
Une excellente suggestion, qui fit briller les pupilles de Spartacos d’un éclat encore plus vif qu’à l’accoutumé, faisant ressortir un peu plus le vide sidéral qui s’étendait derrière elles. Mais avant qu’il ne puisse répondre, le mage elfe venait à son tour d’ajouter ses voix dans la rencontre improbable de la place des pendus :
le Mage elfe très elfe a écrit :"Tou. Es. Souperbeeuh. Je VEUX ton corps dans sur ma carteeuh. Pour qu'on sache bien où allereuh. Je te pluie de cœurseuh!
L’espace d’un nouvel instant atroce, Spartacos imagina des images incertaines, où il était question de cœurs des ennemis vaincus tombant en cascade et d’un labyrinthe rempli de combattants de papiers. La vision dura une demi-seconde, puis s’évanoui. Elle venait de s’effondrer irrémédiablement dans une partie incroyablement encombrée du cerveau du gladiateur, à savoir les oubliettes des pensées dérangeantes et incompréhensibles. Sans s’attarder sur ce tableau ubuesque, Spartacos passa sur les derniers membres de la compagnie restant.
L’elfe Sylvaine en tenue à lacet a écrit :"Enchantée mais parle moins fort, moins vite et moins..."
Ah, voilà qui était de nouveau compréhensible ! Spartacos hocha la tête, s’apprêtant à répondre d’une phrase hardie, jusqu’à ce qu’il remarque la posture de l’amazone. La guerrière était droite comme un piquet, sa musculature d’exception tendue à craquer. Elle était rouge comme une pivoine, grognait quelques mots à voix basse et semblait bloquée dans une posture improbable, un peu comme l’était les statues de pierre aux abords des colisées. Par tous les divins, c’était évident ! Comment Spartacos avait-il pu rater ce geste si pur, ce salut si familier des tribus des terres lointaines qui s’échangeait les soirs au bord des feus de camps ? Comment avait-il pu laisser un si bel éloge à son égard rester sans réponse, alors qu’il éclaboussait d’une gloire évidente la troupe qui s’assemblait autour de lui ?
Sans hésiter, Spartacos droit comme un piquet aux Saintes Glaces claqua un salut impeccable, un salut issu des années à se tenir droit face à l’Adversité, et surtout face aux monstres puants qui le lorgnait comme on regarde une chips les soirs d’apéro. Ses omoplates étaient tendues comme une corde à catapulte, ses muscles saillaient sous l’effort et son torse en métal huilé brillait au vent du soir. La main sur la poignée de son arme fétiche, il se mit en devoir d’imiter les poses kitchs des artistes sculpteurs de secondes zones. Certes, il manquait une chaise pour poser son pied, mais l’idée y était. D’un geste ample de son bras libre, il engloba la troupe qui lui faisait face, et annonça d’un ton de stentor :
- Sachez que je vous rends votre salut, ô fiers aventuriers, car j’en suis également un moi aussi ! Et comme le fait de vous saluer m’inclut dans votre salut, sachez que je serai votre Salut ! Si le Destin nous appelle, c’est qu’il nous appelle ! Et s’il nous appelle, c’est qu’il nous connait déjà ! A nous donc d’aller lui taper dans le dos, de lui dire que ça fait une paye qu’on l’a pas vu, et d’aller s’en jeter un tous ensemble à la taverne céleste la plus proche ! Hardi, compagnons ! Là où je passe, les râles trépassent ! Ensemble, nous seront invincibles !
Il fit une pause dans sa tirade. Chose inhabituelle dans son esprit simple, un détail dans les paroles du nain s’en étaient venu toquer dans l’arrière-salle de sa conscience. Oui certes, le détail avait mis son temps, mais vu la poussière qu’il avait dû s’avaler, ça relevait de l’exploit qu’il sache encore toquer. Surtout qu’à bien y réfléchir, c’était rare, les détails qui toquent aux portes. Si encore c’était un détail de chapeau, ça se serait comprit : entre une toque et un toc, c’était presque la même chose. Mais là, c’était un détail de conversation, donc rien à voir avec les chapeaux. Bref, une chose était sûre : ce détail s’en était venu toquer chez le gladiateur, ce n’était pas du toc et on lui tirait notre chapeau pour ça. Spartacos questionna donc :
- Sieur nain, vous avez parlé d’une noble quête, il me semble. L’un d’entre vous peut-il m’en conter d’avantage ?